Néron
charognard, la hargne et l’arrogance des anciens esclaves prêts à tout pour s’élever encore. Mais il était aussi servile et flagorneur, empressé d’aller au-devant des moindres désirs de son maître.
C’est Anicetus qui, après l’échec des trois tentatives d’empoisonnement, a organisé le meurtre d’Agrippine. Il fallait, avait exigé Néron, que la mort de sa mère apparût comme un accident.
Disant cela, il tremblait comme s’il avait craint que sa mère n’écoutât, persuadé qu’elle avait obtenu la protection des divinités, que jamais il ne réussirait à la frapper, et, s’il y parvenait, qu’elle surgirait encore, dressant les prétoriens contre lui, en obtenant vengeance.
Résolu et incertain, déterminé à tuer et terrorisé à l’idée qu’il n’y parviendrait pas, il répétait : « C’est ma mère, je la connais, c’est ma mère ! »
Anicetus le rassura.
Des hommes à lui sapèrent les fondations de la maison d’Agrippine. Il était prévu que le plafond et les lambris de la chambre et de la salle où elle se tenait s’effondreraient. Ce fut le cas. Mais une poutre protégea Agrippine qui, sortie de la pièce indemne, couverte d’une poussière blanche, traversa Rome pour se rendre chez Néron et s’avança vers lui comme un morte surgie du tombeau.
Il se précipita vers elle, l’enlaça, lui jura qu’il la protégerait contre ces coups du sort, qu’il l’invitait dans sa villa de Baies, en Campanie, qu’il voulait qu’entre eux, désormais, il n’y eût plus que de l’amour, comme autrefois.
Ils restèrent ainsi serrés l’un contre l’autre, ressemblant davantage à deux amants enfin réunis qu’à une mère et à un fils réconciliés. Leur étreinte et leurs baisers étaient si passionnés qu’il y eut des murmures de Poppée, jalouse.
Sénèque me raconta plus tard comment il se servit d’Acté, l’ancienne favorite, pour convaincre Néron que les prétoriens n’accepteraient plus qu’il renouât avec Agrippine des liens incestueux. Que celle-ci serait la seule bénéficiaire de cette union contre nature. Et qu’elle l’utiliserait pour montrer aux soldats qu’elle détenait le pouvoir, que son fils n’était entre ses bras qu’un pantin. À la fin, elle le ferait tuer, le remplaçant par l’un de ses amants, ce Rubellius Plautus qui, lui aussi, appartenait à la famille des César et des Auguste.
Anicetus commença d’argumenter. Selon lui, cette réconciliation entre Néron et sa mère, cette invitation à se rendre à Baies étaient autant de présents des dieux.
Anicetus préparerait le naufrage du navire sur lequel Agrippine embarquerait. On ouvrirait dans la cabine une voie d’eau qui noierait ses occupants. C’en serait fini d’Agrippine, et quoi de plus naturel qu’un naufrage ?
On pourrait dresser sur le rivage des autels, des monuments à la gloire d’Agrippine disparue en mer, regrettée par son fils et Rome tout entière. On célébrerait son culte. Et Néron composerait pour elle un chant funèbre.
L’empereur riait. Il croyait avoir asservi la mort. Mais elle s’était à nouveau dérobée, comme si elle avait voulu que Néron la suppliât, s’obstinât dans le désir de tuer sa mère.
Il avait dû regarder en face ce matricide, être contraint de mentir, de jouer au fils aimant qui accompagne sa génitrice jusqu’à l’embarcadère, qui l’embrasse, la tient contre lui, lui déclare sa flamme pour qu’elle ne nourrisse aucun soupçon.
Puis il avait été obligé d’attendre, d’écouter un envoyé d’Anicetus lui relater les faits.
Le marin raconta que le naufrage avait bien eu lieu, que l’eau s’était engouffrée, qu’on avait tué à coups d’aviron une femme qui criait le nom d’Agrippine, puis, lorsqu’on avait repêché son corps, on avait découvert qu’il s’agissait d’Acerronia, une de ses suivantes. Quant à Agrippine, elle avait disparu. Peut-être avait-elle regagné le rivage ? Car on n’avait retrouvé qu’un autre cadavre, celui d’un de ses proches, Gallus, coincé sous la cloison de la cabine.
— Qui n’a pas vu Néron écoutant ce récit, apprenant l’échec de cette tentative de meurtre, ignore ce que l’effroi peut faire d’un homme, fut-il l’empereur du genre humain.
C’est Sénèque qui, plus tard, me confia ce qu’il avait ressenti quand il pénétra dans la salle où se tenait l’empereur. Burrus aussi y avait été
Weitere Kostenlose Bücher