Néron
tout au long du trajet.
À chaque pas, à chaque vague d’acclamations, j’ai vu le visage de Néron se transformer. L’orgueil l’illuminait. Le mépris, aussi, pour la servilité de tous. La certitude qu’enfin il allait pouvoir régner et vivre comme il l’entendait, en donnant libre cours à ses passions, à ses instincts.
Il a gravi les marches du Capitole.
Je l’ai entendu rendre grâces aux puissances surnaturelles, puis il s’est tourné vers la foule et a levé les bras.
Il ressemblait bien ainsi à la statue d’un dieu.
SIXIEME PARTIE
24
Quel homme pourrait désormais se faire entendre d’un empereur assuré d’être l’égal d’un dieu ?
Je me suis mêlé à la foule.
Je l’ai vu passer, entouré de ses cinq cents Augustiani, ces jeunes gens à la taille élancée, vêtus comme des joueurs de cithare, portant les cheveux longs, mimant Néron dans leur aspect et leur démarche et l’acclamant chaque fois qu’il apparaissait sur une scène, se mettait à danser, s’accompagnant à la cithare, ou bien récitant l’un de ses poèmes.
Presque à chaque note, à chaque mot, il était interrompu par les flagorneries, les exclamations enthousiastes de ces Augustiani aux somptueux costumes. Ils avaient préféré retirer de leur main gauche l’anneau de l’ordre équestre et recevoir de l’empereur un traitement de plusieurs dizaines de milliers de sesterces pour l’applaudir.
À leur suite, j’ai vu apparaître une troupe de plébéiens vigoureux qu’on appelait les néroniens et qui étaient chargés de soutenir de leurs voix rauques le chœur louangeur des Augustiani.
La plèbe romaine se délectait de ce spectacle.
Au lendemain de la mort d’Agrippine, chaque citoyen avait reçu une poignée de sesterces afin, avait déclaré Néron, que chacun pût se réjouir de la protection que les dieux avaient dispensée à l’empereur du genre humain.
On avait donc bu. On avait braillé. On avait envahi les gradins de l’amphithéâtre du champ de Mars, puis on s’était pressé pour rejoindre la vallée du Vatican.
Là, l’empereur Caligula avait fait tracer une piste réservée aux courses de chars. On savait que Néron l’avait fait élargir et que, devant ses familiers, puis les sénateurs, les chevaliers, et naturellement les Augustiani et les néroniens, il conduisait son char à quatre chevaux, participant ainsi aux courses, toujours salué comme le vainqueur. Alors il déclamait, chantait en s’accompagnant à la cithare, et les louanges déferlaient.
Mais la foule plébéienne n’avait pas encore été autorisée à venir l’acclamer. Je savais que Sénèque et Burrus tentaient de s’opposer au désir de Néron d’apparaître devant les citoyens de Rome en citharède, en poète, en aurige guidant son quadrige, qu’ils lui remontraient qu’un empereur n’était ni un acteur, ni un chanteur, ni un poète, ni un conducteur de char, et que son autorité, sa dignité, sa gloire ne pouvaient se confondre avec celles d’un gladiateur, d’un citharède ou d’un histrion.
Ni Sénèque ni Burrus n’osaient certes prononcer ce dernier mot. Et leurs voix peu à peu avaient été étouffées par celles des Augustiani, de tous ceux qui incitaient Néron à se livrer à ses passions, quelles qu’elles fussent.
Maintenant qu’Agrippine était morte, n’était-il pas enfin libre d’agir à sa guise ?
Il a donc ignoré les conseils de Sénèque et de Burrus et fait ouvrir à la plèbe la vallée du Vatican afin qu’elle pût le voir triompher dans les courses de chars, les concours de chant et de poésie, les représentations théâtrales.
Il était l’empereur citharède, l’empereur chanteur, l’empereur poète, à l’instar d’un prince grec ou d’un roi oriental. Et avec leurs postures languides ou provocantes, leurs corps épilés, huilés, parfumés, leurs chevelures épaisses, les Augustiani l’enivraient de leurs acclamations enthousiastes.
Telle était la Rome nouvelle, la Rome grecque et orientale dont rêvait Néron.
Qui pouvait encore s’opposer à lui ?
Un seul sénateur, Thrasea Paetus, un stoïcien, quitta la salle pour ne pas approuver les textes félicitant Néron d’avoir déjoué un complot d’Agrippine puis décrétant que l’anniversaire de la naissance de cette femme sacrilège serait désormais qualifié de jour néfaste.
Mais qui se souciait de la réprobation de Thrasea ? ou de ces
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