Néron
l’amphithéâtre de bois qu’il avait fait construire au champ de Mars, il organisait des jeux de plus en plus étonnants qui déclenchaient l’enthousiasme de la plèbe.
Sur un lac artificiel, il faisait s’affronter des flottes rivales, et cette naumachie s’accompagnait de l’exhibition de monstres marins qui laissait la foule ébaubie.
Un autre jour, c’étaient des taureaux qui gratifiaient des génisses en bois de leur saillie, et l’on prétendait que des épouses de chevaliers et de sénateurs, et peut-être Poppée en personne, se livraient, dissimulées à l’intérieur, à la virilité taurine.
Rome était ainsi surprise chaque jour par une fête, un jeu, un événement inouïs que Néron présidait, accompagné de Poppée.
Parfois la mort se mêlait aux festivités. Un acteur qui interprétait le rôle d’Icare s’écrasait sur la tribune aux pieds de Néron ; le sang, en jaillissant, éclaboussait la tunique blanche de l’empereur.
Mais la fête l’emportait.
Autour de Néron, une troupe de quelque cinq cents jeunes gens aussi vigoureux que beaux applaudissaient. Ils étaient recrutés parmi les chevaliers ambitieux et voués à la louange de l’empereur, l’acclamant, vantant sa beauté et sa voix, le comparant aux dieux et scandant : « Nous sommes les Augustiani, les soldats de ton triomphe ! »
Ils obtenaient pour prix de leur enthousiasme honneurs et cadeaux, et tous les jeunes nobles romains rêvaient d’être enrôlés parmi ces Augustiani qui escortaient l’empereur dans tous ses déplacements et le déclaraient vainqueur quand il participait à des courses de chars, à des concours de chant ou de cithare.
Néron accueillait ces acclamations, son triomphe, avec une feinte modestie.
Je l’observais, tandis qu’il distribuait, le visage rosi d’orgueil et de plaisir, sesterces et titres tout en invitant les Romains, à son exemple, à jouir sans bornes ni entraves.
J’avais le sentiment qu’une nouvelle ère commençait à Rome avec ce jeune empereur de vingt-deux ans qui ne rêvait que festins, orgies, jeux, chants, jouissances et luxe.
Qui se souciait encore de l’austère vertu romaine ?
Même mon maître Sénèque vantait la clémence, la gentillesse, la vie heureuse, et seuls les affranchis, esclaves d’hier, manifestaient une sombre arrogance, paravent de vanité derrière lequel ils cachaient leur âpreté au gain, leurs vices, leur folle ambition.
Néron, lui, chantait, entouré de flagorneurs et de jeunes gens qui ne songeaient qu’au plaisir.
Mais parfois le visage de l’empereur s’assombrissait.
Je suivais son regard.
Agrippine, comme un spectre menaçant et vengeur, traversait la salle.
Elle était l’ombre, peut-être le remords qu’il fallait effacer.
Néron oserait-il ?
Poppée se penchait vers lui pour lui chuchoter quelques mots à l’oreille.
23
Néron a osé.
Il a donné l’ordre de tuer sa mère.
Puis, l’acte sacrilège accompli, il s’est rendu sur les lieux du crime, dans cette villa d’Antium où il était né.
Là, le devin chaldéen Balbilus avait dit, en voyant le nouveau-né : « Il régnera, mais il tuera sa mère », et Agrippine avait répondu : « Qu’il me tue, pourvu qu’il règne ! »
Vingt-deux ans s’étaient écoulés, et Agrippine était à présent ce corps ensanglanté sur lequel se penchait Néron.
Sénèque a été le témoin de la scène.
Il m’a rapporté les gestes et les propos de l’empereur.
— Néron a palpé les membres d’Agrippine comme s’il voulait s’assurer qu’elle était bien morte, a-t-il commencé.
Son ton détaché m’a glacé. Il parlait d’une voix lente, le buste immobile, les mains posées sur les cuisses, les yeux fixes. J’ai eu l’impression que ce qu’il me racontait se déroulait à l’instant même où il le décrivait, alors que le crime avait été perpétré plusieurs jours auparavant.
— Néron, a poursuivi Sénèque, a critiqué ceci, vanté cela. Puis il a dit tout à coup, en se redressant : « Je ne pensais pas avoir une mère aussi belle. »
« Alors il s’est penché à nouveau sur le corps, examinant les blessures. L’une avait tuméfié le front et le visage. J’ai appris qu’en faisant irruption dans la chambre où Agrippine se trouvait seule le capitaine de trirème Herculeius lui avait asséné un coup de bâton sur la tête. Elle a chancelé, le sang lui a brouillé la vue. Mais elle
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