Néron
a crié : « Néron me tue comme il a tué Claude, Britannicus, Agrippine ! »
Le sang a rempli sa bouche. Puis l’un des tueurs lui a tranché la tête qu’il a enveloppée dans la toge déjà imbibée de sang.
Les trois hommes ont traversé la villa déserte, leur glaive à la main, et personne ne s’est opposé à leur départ.
Il n’est resté de leur passage que cette traînée de sang sur les dalles de marbre, et ce corps mutilé que les esclaves n’osaient enlever.
C’est Romanus, affranchi de Poppée, délateur et homme de débauche, qui a déposé aux pieds de Néron ce paquet rouge que l’empereur, en s’approchant, lui a demandé d’ouvrir. L’homme s’est agenouillé, a déplié le tissu, et la tête de Sulla est apparue.
Néron s’est penché, a longuement examiné ce visage, puis, en se redressant, a lâché, en faisant la moue :
— Cette chevelure blanchie avant le temps ne l’embellissait pas.
Ce n’est que deux mois plus tard que l’eunuque Pelagon a présenté à Néron la tête tranchée de Rubellius Plautus.
L’homme était d’une autre trempe que Sulla. Lorsque, à Rome, on avait appris que soixante prétoriens avaient quitté la ville pour le tuer, des messagers s’étaient élancés pour l’avertir du danger.
On estimait Rubellius Plautus, on vantait l’austérité de ses mœurs, ses vertus stoïciennes, ses amis philosophes, on respectait son épouse Antista. On le savait riche et donc puissant.
On imaginait qu’allié au général Corbulon, aidé par son beau-père, ancien consul et légat, soutenu par les sénateurs Thrasea et Pison, les écrivains et les philosophes proches de Sénèque, ce descendant d’Auguste, qui avait autant le titre à gouverner le genre humain que Néron, et dont les mœurs étaient celles d’un Caton plutôt que celles d’un Caligula, était capable de renverser le despote.
Il lui suffisait de croire les messagers, de s’enfuir, d’échapper aux tueurs, de se mettre sous la protection des légions de Corbulon, d’attendre et, au moment propice, de se présenter en successeur de celui qui apparaissait chaque jour davantage comme un tyran sanguinaire.
Comme tous ceux qui craignaient Néron, j’ai guetté le retour des messagers. J’ai espéré apprendre que Rubellius Plautus était toujours en vie et que l’eunuque Pelagon, mis en échec, rentrait les mains vides avec ses prétoriens et que tous subiraient la colère de Néron.
J’ai voulu partager mon espoir et mes attentes avec Sénèque.
Il m’a écouté, puis, le buste penché, le coude droit appuyé sur la cuisse, détournant la tête comme pour ne pas affronter mon regard, il m’a dit qu’un homme vertueux peut aller au-devant de la mort parce qu’il répugne à vivre dans l’inquiétude et à s’engager dans un avenir incertain. Avec la mort, on en finit avec le doute.
Il m’a semblé que Sénèque me parlait alors davantage de lui que de Rubellius Plautus.
— Plautus peut croire aussi, a-t-il ajouté, que s’il se laisse tuer, Néron, rassuré, accordera à son épouse et à leurs enfants le droit de survivre.
Il m’a enfin regardé.
— Même un homme sage, un philosophe peut se tromper. Rubellius Plautus a peut-être oublié que Néron a voulu avec obstination tuer sa propre mère.
— Tu as toi-même justifié ce meurtre ! ai-je répliqué.
— Je te l’ai dit alors, Serenus : l’Empire ne se partage pas. Néron a retenu cette leçon que je lui ai donnée. Rubellius Plautus, lui, ne l’a jamais apprise.
Il était nu, en train d’exercer son corps, quand l’eunuque Pelagon et ses soixante prétoriens l’ont entouré.
Un centurion s’est avancé. Rubellius Plautus a laissé tombé son glaive, levé la tête vers ce soleil haut, celui de midi, qui l’a aveuglé.
On dit que deux philosophes, Ceranius et Musonius Rufus, des amis de Sénèque qui l’avaient suivi en exil, lui avaient conseillé d’attendre fermement la mort plutôt que d’entamer, en fuyant, une vie semée d’angoisse.
Peut-être Rubellius Plautus a-t-il pensé à eux quand le centurion a enfoncé sa lame.
Le flanc gauche percé, il s’est effondré. Le centurion savait tuer et l’agonie a été brève. Pelagon s’est approché du corps et a demandé qu’on lui tranche la tête.
Alors les prétoriens se sont répandus dans la villa. Ils cherchaient Antista, l’épouse de Plautus, et ses enfants.
Aujourd’hui, j’ignore encore s’ils
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