Néron
d’affection et de compassion, l’accompagnait lorsqu’elle sortait, silhouette gracile, recroquevillée dans sa litière.
Les femmes la plaignaient non seulement d’avoir dû accepter l’assassinat de son père et de son frère, mais d’avoir été humiliée par Néron qui lui avait préféré Acté, l’affranchie, et maintenant cette femme aux crocs acérés par l’ambition, au corps rompu à la débauche, Poppée, qui ne rêvait que d’un mariage avec Néron. Mais, pour cela, il fallait qu’Octavie fut répudiée ou, mieux encore, qu’elle fut morte.
Et la plèbe de murmurer : « Pour Octavie, le jour de ses noces avec Néron fut le jour de ses funérailles. »
C’était cet amour de la plèbe pour Octavie qui retenait le poignard de Néron. Mais Tigellin et Poppée, alliés par l’intérêt et les vices, venaient chaque jour tenter le tyran.
Que risquait-il à répudier Octavie ? lui remontraient-ils. Elle ne lui avait pas donné de descendance. Et Poppée, posant ses mains croisées sur son ventre, murmurait : « Je porte ton enfant : il bouge, Néron ! »
Tigellin ajoutait qu’Octavie constituait une menace, que tous les adversaires de Néron se servaient de son nom, de son sang de fille, d’épouse, de sœur d’empereur pour justifier leur opposition ei légitimer leur complot.
Il concluait : « Elle est la nouvelle Agrippine, plus jeune, donc plus dangereuse. »
Un jour de mai, Néron décida de la répudier afin d’épouser Poppée au ventre fertile.
Lorsque j’appris qu’il avait fait attribuer à Octavie la maison de Burrus et les propriétés de Rubellius Plautus, ceux-là mêmes qu’il avait fait assassiner et dépouiller de leurs biens, je sus que cette répudiation n’était que la première marche à descendre.
La mort était en bas, qui attendait.
Je ne sais qui a le plus voulu cet assassinat : Poppée, Tigellin ou Néron ?
Poppée et Tigellin le préparèrent. Néron, par ses silences, ses regards, les incita à passer à l’acte.
J’ai vu Néron ces jours-là, quand la rumeur s’était répandue dans Rome qu’Octavie avait eu une relation infamante et sacrilège avec un esclave égyptien, un joueur de flûte. Elle l’avait accueilli dans son lit, elle, fille, sœur, épouse d’empereur. Et cet Eucareus avait reconnu avoir cédé aux ordres d’Octavie.
Elle niait. Elle jurait sur les dieux qu’elle n’avait jamais rencontré cet homme, qu’elle avait seulement connu son époux, Néron, et était toujours prête à le satisfaire.
Je le regardais alors qu’il écoutait Tigellin rapporter que les servantes d’Octavie avaient avoué avoir vu l’esclave joueur de flûte s’introduire dans la chambre de leur maîtresse.
Le visage de Néron était bouffi de vanité. Deux petites rides au coin de sa bouche révélaient sa cruauté et sa perversité. Le menton était enveloppé d’une chair grasse, rosée comme celle d’un goret. Il plissait les paupières, s’efforçant de demeurer impassible, et cependant ses traits veules se contractaient dans un rictus de jouissance.
— Les servantes l’ont dit, répétait-il avec gourmandise.
Tigellin baissait la tête.
On savait que les esclaves d’Octavie avaient été torturées : corps écorché, écartelé, lèvres écrasées, dents brisées. Elles avaient souffert longtemps avant de mentir et de répéter ce qu’on leur demandait d’avouer, de trahir Octavie.
Tigellin avait lui-même torturé, frappé. Il avait tué, en l’étranglant, l’une des servantes – son nom est resté inconnu et pourtant il eût mérité d’être illustre – qui lui avait crié : « Le sexe d’Octavie est plus chaste que ta bouche ! »
Néron ne pouvait l’ignorer, mais il voulait que ses complices se vautrent dans la perversion et le mensonge. Et il avait besoin de ces calomnies pour accabler Octavie, la chasser de Rome, l’exiler en Campanie, gardée par des prétoriens dont chacun savait qu’il suffirait d’un mot de Néron, de Tigellin ou de Poppée pour qu’ils mettent à mort cette femme prostrée, aux yeux apeurés.
Mais, tout à coup, les rues de Rome, celles-là mêmes que parcouraient les bandes de tueurs, celles que scrutaient les délateurs, se sont remplies de femmes et d’hommes de la plèbe qui pleuraient sur le sort d’Octavie.
J’ai suivi cette foule qui se rendait au Capitole.
J’étais surpris qu’elle osât ainsi défier Néron et lorsque, plus tard,
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