Néron
j’ai décrit à Sénèque comment cette foule avait renversé les statues de Poppée, brandi celles d’Octavie, couvertes de fleurs, les dressant sur le forum et dans les temples, il a murmuré :
— Serenus, ne t’étonne pas du silence et de la lâcheté des sénateurs et des chevaliers. Ils ont beaucoup à perdre. Le peuple est moins prudent. En raison de la médiocrité de sa condition, il court moins de dangers. Que veux-tu qu’on prenne à qui n’a rien ? Sa vie ? Mais, à ses propres yeux, que vaut sa vie ?
La foule s’était pourtant dispersée lorsque des pelotons de soldats étaient sortis du palais impérial et avaient commencé à frapper à coups de bâton et à menacer de la pointe de l’épée.
— Maintenant, a ajouté Sénèque, Néron va décider de tuer Octavie. Cette foule qui le contestait, les cris qu’elle a poussés, les statues qu’elle a portées, tout cela a dû le terroriser. Octavie est devenue une menace. Et Poppée comme Tigellin vont le lui répéter à satiété, jusqu’à ce qu’il donne l’ordre de tuer.
Sénèque avait vu juste.
Poppée a harcelé Néron. Elle craignait qu’il ne la sacrifiât à la foule. Elle a affirmé que celle-ci n’était composée que des esclaves, des affranchis et des clients d’Octavie. Ils s’étaient fait passer pour la plèbe. Ils n’étaient qu’au service des ennemis de Néron. Demain ils choisiraient un chef. Et pourquoi pas un nouvel époux à Octavie ? Elle pouvait se remarier. Elle apporterait en dot son ascendance, l’appui de la plèbe. Et elle, Poppée, grosse de l’enfant de l’empereur, que deviendrait-elle ?
Laisserait-on la plèbe, achetée, préférer la maîtresse d’un esclave, d’un flûtiste égyptien ?
Néron avait réussi à disperser les premières émeutes, mais qu’en serait-il demain si Octavie pouvait, par un futur mari, prétendre à gouverner l’Empire ?
Octavie n’était-elle pas celle qu’Agrippine avait protégée et dont elle s’était servie pour menacer Néron ?
Ce nom, ce souvenir d’Agrippine ont fait tressaillir Néron. C’était comme si sa mère le menaçait à nouveau, comme si ce spectre qui hantait souvent ses nuits venait de s’incarner dans cette femme qu’il fallait accabler d’accusations pour que sa mort parût nécessaire et juste.
Et à qui s’adresser pour préparer et justifier le crime, sinon à cet Anicetus, toujours préfet de la flotte de Misène, qui avait été l’organisateur du meurtre d’Agrippine et dont les hommes, le capitaine de trirème Herculeius et le centurion Obaritus, avaient tué sa mère à coups de glaive et de bâton ?
On a vu entrer Anicetus au palais. Il avait le masque de la mort plaqué sur son visage quand il en est ressorti.
On a su que Néron lui avait offert un marché : sa vie sauve contre un témoignage chargeant Octavie qui autoriserait à la tuer.
Il devait avouer qu’il avait été l’amant d’Octavie. Qu’elle l’avait choisi parce qu’il commandait la flotte de Misène et qu’elle voulait disposer des navires, des marins, des cohortes embarquées pour se dresser contre l’empereur. Elle avait même – elle ! – choisi de se faire avorter.
Peu importait à Néron qu’il l’eût accusée d’être stérile. Il fallait déverser sur Octavie toutes les calomnies, la déclarer coupable.
Anicetus a accepté le marché.
Il a accablé Octavie. Il a reconnu sa faute, mais, a-t-il ajouté, il avait cédé à la tentation. Il s’en repentait devant l’empereur, implorait sa grâce, et celui-ci l’exila en Sardaigne.
Disparu, oublié, Anicetus !
Restait l’accusation.
Les soldats entraînèrent Octavie, la conduisirent jusque sur l’île de Pandateria, dans la baie de Naples.
Elle n’était plus qu’un corps qui attend qu’on l’égorge, qu’une âme qui craint la mort, que plus personne – pas même cette plèbe qui, à Rome, manifestait encore en sa faveur – ne pouvait sauver des poignards des tueurs.
Elle a, un jour de juin, le 9, reçu l’ordre de mourir.
Des centurions ont parlé, eux aussi émus par cette jeune femme qui n’avait connu de la vie que le malheur, et dont le chemin n’avait été, depuis l’enfance, que celui d’un convoi funèbre.
J’ai ainsi appris qu’elle avait supplié, répétant qu’elle n’était plus que la sœur de Néron, qu’ils avaient des ancêtres communs, et, à la fin, elle a cité le nom d’Agrippine qui ne
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