Néron
les ont découverts, mais Néron voulait bel et bien qu’on les tuât. Quand on a le dessein d’exterminer une meute, avait-il dit, on ne se contente pas d’égorger le loup, on éventre la louve et on écrase la tête des petits.
Tel était Néron, et j’ajoute avec amertume : tel était l’élève de Sénèque.
Quand l’empereur s’est penché sur la tête de Rubellius Plautus que Pelagon lui présentait dans une jarre comme un gros fruit rouge, il l’a considéré avec dégoût et s’est borné à lécher ses lèvres en grimaçant.
— Je ne savais pas qu’il avait un si grand nez.
Telle fut l’oraison funèbre du sénateur Rubellius Plautus, descendant d’Auguste.
J’ai cru que l’indignation, la volonté de s’opposer à Néron allaient dresser contre lui les sénateurs qui venaient d’apprendre l’assassinat de deux d’entre eux alors qu’en exilant Sulla et Rubellius Plautus il avait promis de sauvegarder leur vie, jurant qu’il se montrait ainsi fidèle à l’esprit de clémence.
— De ton jugement, avait-il dit à Sénèque, de ta clairvoyance, de tes préceptes tu as entouré et protégé mon enfance, puis mon adolescence. Les présents que j’ai reçus de toi, aussi longtemps que je vivrai, seront éternels.
Il l’avait répété dans une lettre au Sénat alors que les têtes de Sulla et de Rubellius Plautus avaient été jetées aux fauves. Il y écrivait que Sulla et Rubellius Plautus pouvaient causer des troubles dans l’Empire, mais qu’il veillait lui-même avec le plus grand soin à l’intégrité de l’État.
Il n’avouait pas pour autant le meurtre de Sulla et de Rubellius Plautus alors que tous les sénateurs savaient que les tueurs avaient accompli leur besogne. Mais j’ai vu au Sénat les pères de la Patrie, le corps recroquevillé, la tête rentrée dans les épaules, écouter en silence la lecture de la lettre de Néron, décréter des supplications aux dieux pour qu’ils protègent l’État et décider d’exclure et Sulla et Rubellius Plautus du Sénat.
Comme s’il s’était agi de deux vivants !
Dans l’ombre des colonnes, j’ai deviné le rictus de mépris de Tigellin.
Il allait regagner le palais, rapporter à Néron les décisions des sénateurs.
Ils acceptaient les mensonges et avalisaient les crimes.
Ils les justifiaient par avance tout en refusant de les voir.
Pourquoi Néron aurait-il hésité à frapper de nouveau ? À tuer ceux qui, même reclus et soucieux de leur âme, comme mon maître Sénèque, le gênaient ?
Le temps des proscriptions et des assassinats était venu.
33
J’ai attendu, assis près de Sénèque, que la mort vienne.
Nous savions que rien, désormais, sinon sa disparition, ne pourrait empêcher Néron de tuer. Autour de lui, ses affranchis, ses proches conseillers, Tigellin, Poppée, tous ces chacals, ces charognards assassinaient pour lui complaire ou satisfaire leur ambition.
L’une de leurs premières victimes fut Octavie, l’épouse depuis plus de dix ans de Néron.
Je l’ai vue, pauvre jeune femme d’à peine plus de vingt ans, maigre et rabougrie, le corps écrasé par l’angoisse, les yeux d’un animal traqué, sachant qu’autour d’elle, depuis des années, les tueurs rôdaient, hésitant à perpétrer leur forfait, guettant un geste de Néron.
Mais celui-ci hésitait.
Elle était la fille de l’empereur Claude, donc la sœur-épouse de Néron, et la plèbe l’aimait pour les malheurs qu’elle avait subis.
Mariée à peine sortie de l’enfance, elle avait assisté à la mort de son père et à celle de Britannicus. Lors du banquet fatal, elle était assise à quelques pas de lui. Elle avait dû feindre de croire que la maladie et non le poison avait emporté son frère.
Elle avait été protégée par Agrippine qui, après l’avoir méprisée, l’utilisait comme une arme et un bouclier contre Néron.
Elle avait vu les prétoriens d’Anicetus entrer dans la chambre d’Agrippine et le centurion Obaritus lui perforer la poitrine de son glaive.
Comment Néron, l’homme qui avait osé faire assassiner sa mère, pourrait-il hésiter à faire égorger Octavie qu’il effleurait d’un regard de mépris, qu’il accusait d’être stérile et dont il craignait que le nom qu’elle portait et le souvenir de son père empereur ne fussent un jour utilisés contre lui par des rivaux ?
Tout Rome savait qu’il la désirait morte.
Mais la plèbe entourait Octavie
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