Néron
drapés dans leur toge, s’efforçant de vivre chaque jour avec courage. Le présent, Serenus, le jour que l’on vit : voilà l’éternité !
J’étais déçu. Je l’interrogeai à nouveau sur les présages. Il s’est appuyé au socle de la statue d’Apollon.
— Les dieux se jouent de la vanité et de la crédulité des hommes. Les prêtres, les devins, les astrologues croient déchiffrer leurs intentions alors que la plupart des hommes, même ceux qui sont censés connaître le langage des dieux, ne disent, devant un fait inattendu – cette foudre, ce tremblement de terre dont tu parles –, que ce qu’ils espèrent ou redoutent. Or la crainte suit toujours l’espérance, Serenus.
Il s’est approché de moi tout en laissant sa main droite appuyée au socle de la statue comme s’il voulait invoquer l’autorité d’Apollon.
Il me rappela qu’on pouvait énumérer de nombreux présages dont on aurait pu dire qu’ils manifestaient la bienveillance des dieux à l’égard de Néron.
Après les défaites des légions romaines commandées par Paetus, le général Corbulon avait remporté une nouvelle victoire, et le roi d’Arménie, Tiridate, s’était incliné devant l’effigie de Néron. Il avait déposé sa couronne au pied de cette image de l’empereur. Il se déclarait soumis à Rome et se rendrait auprès de Néron pour recevoir de lui sa couronne.
J’avais vu les arcs de triomphe que Tigellin avait fait édifier dans toute la ville afin que la plèbe sût que Néron avait obtenu la victoire des armes, la plus prestigieuse, celle qui marquait que l’empereur était bien le protégé des dieux.
Pour la première fois depuis Auguste, le temple de Janus allait être fermé parce que Néron avait instauré la paix dans l’Empire.
— Ne sont-ce pas là des signes heureux ? a repris Sénèque d’une voix sarcastique. Tu espérais et maintenant tu es rempli de crainte…
Nous nous sommes remis à marcher. La terre était sèche et dure sous nos pas.
— Tu cesseras de craindre si tu as cessé d’espérer, a poursuivi Sénèque. Prends les choses telles qu’elles sont à l’instant où tu les vois, où tu les vis. Tu ne sais pas ce qu’elles portent en germe, ni quelles facéties les dieux te réservent. Ne projette pas tes pensées au loin. La prévoyance, qui est l’un des plus grands biens de la condition humaine, devient alors un mal. Observe les animaux : ils fuient à la vue du danger. Une fois échappés, ils recouvrent le calme. Nous, en revanche, nous nous tourmentons et de l’avenir et du passé. La mémoire ramène le tourment et la peur, la prévoyance l’anticipe. Nul n’est malheureux seulement à cause du présent.
Nous avions fait le tour du jardin et nous nous trouvions de nouveau devant la statue d’Apollon.
— Tu sais combien les thermes qu’a fait construire Néron sont vastes, somptueux comme un palais, impressionnants comme un temple, a continué Sénèque. On m’assure que quatre fois vingt-cinq mille pas suffisent à peine à en faire le tour. Martial, dont tu connais les mots aussi tranchants qu’une lame, a écrit, me rapporte-t-on : « Quoi de pire que Néron ! Quoi de mieux que les bains chauds ! » Que veux-tu que j’ajoute à cela ? C’est de la bonne et juste philosophie.
Je n’ai pas oublié cette leçon de Sénèque.
Je ne savais plus ce que voulaient les dieux. Étaient-ils favorables à Néron, ou bien lui étaient-ils hostiles ? Le doute m’habitait.
J’assistais au milieu de la foule à ces jeux que Néron offrait à la plèbe, invitant sénateurs et matrones à y prendre part. Il s’avançait dans l’arène et sur la piste du cirque. Je devinais sa tentation de participer à ces combats, à ces concours, à ces courses de quadriges, mais, après avoir chanté ou conduit un char, il se retirait, et, assis dans sa loge, il observait les joutes, le corps penché en avant, l’émeraude sur son œil gauche, passionné, levant le pouce, arrêtant les duels au moment où l’un des gladiateurs allait être mis à mort, se levant comme un simple citoyen pour encourager un aurige qui fouettait ses quatre chevaux.
Près de Néron, Tigellin lui murmurait sans doute que ces chevaux appartenaient à ses écuries et, toujours aussi courtisan, devait lui dire qu’il regrettait que l’empereur ne s’élançât pas sur la piste, puisqu’il était le fils du divin Apollon, le plus talentueux des conducteurs, des
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