Néron
d’avoir détruit Rome par ce « feu flamboyant », parce qu’elle est pour eux la ville de la jouissance, la capitale de la chair !
Il a ajouté, après un silence :
— Ils doivent remercier leur dieu pour l’incendie, y voir un juste châtiment, l’annonce du retour de leur Christos sur terre, un embrasement du monde imparfait, cette apocalypse que les Juifs – et Paul de Tarse, comme eux – attendent. Ils vont la vivre, crois-moi ! Et elle dépassera en horreur tout ce qu’ils imaginent. Toi-même, Serenus, qui n’es pas de leur secte, qui as déjà vu tant de crimes, en seras surpris. Et peut-être moi aussi.
J’ai su que mon maître Sénèque avait deviné l’avenir quand j’ai entendu sur le forum, devant les tavernes, au champ de Mars où se trouvait encore la foule des rescapés de l’incendie, les hommes de Néron, ses espions et ses tueurs dire que les adeptes de la secte de Christos, que les croyants de cette exécrable superstition, que ces hommes et ces femmes qui avaient des mœurs criminelles, n’avaient pas participé aux cérémonies expiatoires à la gloire des dieux de Rome. Ils regrettaient que l’incendie, ce « feu flamboyant » qu’ils attendaient, n’eût pas entièrement détruit Rome, la ville infâme.
Ils le proclamaient. Ils appelaient la foudre et les malédictions sur elle. Et c’est pourquoi l’empereur Claude, il y avait près de quatre lustres, les avait châtiés. Et les Juifs eux-mêmes voulaient qu’on les exterminât, car les chrétiens avaient la haine du genre humain.
J’ai vu la plèbe s’embraser comme un champ d’herbes sèches. Ce n’était plus l’incendie des bâtiments et des temples. Mais les flammes de la vengeance dévoraient les âmes.
J’ai vu passer, enchaînés, entourés par des prétoriens, les premiers chrétiens arrêtés.
Et j’ai entendu les cris : « Les chrétiens aux lions ! Les chrétiens sur la croix ! »
Et j’ai vu de la foule bondir des hommes qui brandissaient des bâtons ferrés et qui frappaient sur la nuque, le visage, les épaules des prisonniers.
Puis les arrestations se sont multipliées, car les premiers emprisonnés avaient été torturés et avaient livré les lieux où ils se réunissaient autour de Paul de Tarse et de Pierre, qui avaient connu Christos, et de ce Linus, l’homme hâve qui m’avait naguère apostrophé !
À sa démarche, à sa silhouette, je l’ai reconnu quand il est entré dans l’arène.
Car j’étais parmi la plèbe qui hurlait, qui acclamait Néron lorsqu’il apparaissait dans sa loge et demandait d’un geste qu’on fit entrer les coupables. Parmi eux, tous revêtus de peaux de bêtes, il y avait ce Linus.
C’était là le spectacle imaginé pour surprendre et satisfaire cette foule, lui faire rendre grâces à Néron de la venger par ces jeux inédits : des hommes et des femmes tenant leurs enfants, tous enveloppés dans des peaux d’ours ou de fauves teintées de sang afin que les chiens sauvages lâchés dans l’arène soient attirés, leur sautent à la gorge, leur arrachent ces déguisements bestiaux avant de les mettre en pièces.
Et j’ai vu ces chrétiens nus, ces femmes qui tentaient de protéger leurs nouveau-nés, que les chiens lacéraient.
Puis vint un autre jour où on les cloua sur la croix. Et l’un d’eux, ce Pierre, compagnon de leur Dieu, ce Christos, fut crucifié la tête en bas, à sa demande, dit-on, en signe d’humilité pour ne pas paraître l’égal de son Dieu.
Je regardais, incapable de bouger. Chaque spectacle marquait un nouveau degré dans le raffinement des supplices.
Il y eut un soir, au moment où le jour baissait, où l’on mit le feu à ces crucifiés qui avaient été préalablement enduits de poix, afin que les flammes qui dévoraient leurs corps éclairent les jardins de Néron où la plèbe avait été admise.
Et l’empereur, en costume d’aurige, tenant fermement les rênes de ses quatre chevaux, entouré par ses Augustiani et ses néroniens, par les prétoriens germains de sa cavalerie, parcourait au pas ses jardins, souriant, son visage bouffi, sa peau luisante de sueur, éclairé par les lueurs des corps crucifiés que les flammes nourries de chair et de poix faisaient grésiller.
J’ai senti cette odeur de bûcher.
Ces flambeaux vivants illuminaient les jardins de Néron au centre desquels se dressait un obélisque d’Héliopolis transporté jusqu’au cœur de cette ville, de cet
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