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Néron

Néron

Titel: Néron Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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de Néron un criminel ou un empereur dont la Fortune, ce don des dieux, s’était détournée.

 
     
37
    Lorsque j’ai dit à Sénèque que l’on continuait à accuser Néron d’être l’incendiaire de Rome, il a murmuré, en levant la tête vers moi :
    — Malheur à nous !
    Il était assis à l’intérieur de sa bibliothèque dans une pose qui lui était familière, le buste penché en avant, les coudes appuyés sur les cuisses, les avants-bras dressés, le menton reposant sur ses poings fermés.
    Il aurait dû être rassuré par le sort que les dieux lui avaient ménagé : les flammes avaient à peine roussi les cyprès en lisière de son jardin ; les brandons que le vent avait projetés sur les massifs de fleurs et les toits de la villa avaient été rapidement éteints par les esclaves. La demeure de Sénèque était l’une des rares du Palatin à n’avoir subi aucun dommage.
    Et, cependant, il a répété : « Malheur à nous ! » tout en me regardant.
    Il a dû percevoir mon étonnement car il a ajouté :
    — Si aucune cérémonie rituelle destinée à apaiser les dieux, aucune largesse de l’empereur envers la plèbe…
    Il a secoué la tête, dit plus bas :
    — A-t-on jamais vu un empereur accueillir, comme Néron, des misérables dans ses jardins, faire distribuer du blé en telles quantités, en fixer le prix à trois sesterces le boisseau ? Or, si cela ne suffit pas…
    Il a fait une moue qui creusait son visage déjà parcouru de rides profondes.
    — … si rien, ni les sacrifices, ni l’invocation des dieux, ni les dons ne peut étouffer l’accusation infamante et faire taire cette rumeur qui vise Néron, alors il faudra noyer ces flammes sous des flots de sang. Il faudra des accusés par centaines, des supplices raffinés qui surprendront la plèbe, la distrairont par des spectacles qu’elle n’a jamais vus, des tueries qui lui feront oublier l’incendie et la culpabilité ou l’impuissance de Néron. La plèbe aura alors le sentiment d’être vengée et honorée. Néron sera innocenté parce qu’il aura fait couler le sang des coupables, et, puisqu’il les aura désignés et que l’on aura survécu, la plèbe dira qu’il a conservé la protection des dieux, que la Fortune le couvre de ses ailes. Mais que de souffrances ! Que de sang ! Peut-être le nôtre, Serenus.
    Il s’est levé et a posé la main sur mon épaule.
    — Notre sang, nos vies n’y suffiraient pas. D’autres, nombreux, avant nous, vont être égorgés.
     
    C’est ce jour-là qu’il m’a longuement parlé des disciples de Christos, de ce Juif de Tarse, Paul, de ce Pierre qui avait connu leur dieu, ce Christos naguère crucifié en Palestine par le procurateur Ponce Pilate, sous le règne de l’empereur Tibère, et qui rassemblait autour de lui les chrétiens de Rome.
    — La plèbe n’aime pas les chrétiens, qui ne sacrifient pas aux dieux, espèrent et attendent le retour de leur Christos. Ils l’annoncent, Paul de Tarse me l’a dit : il reviendra au milieu d’un feu flamboyant.
    Il a répété ces derniers mots.
    — N’est-ce pas assez pour les accuser ? Nos mages, ceux qui ont l’oreille de Néron, Simon le Magicien et Balbilus, les dénoncent comme des ennemis de l’empereur, des jeteurs de sorts, des faiseurs de miracles, des impies. Et les Juifs, dont ils se sont séparés, les jalousent, les combattent exhortent la justice impériale à les châtier. N’oublie pas que Poppée écoutait les Juifs, qu’elle s’était peut-être convertie, que les Juifs ont leurs entrées au palais de Néron. Les chrétiens n’ont que des ennemis ! Quels parfaits coupables ils font ! On ne peut pas les aimer ! Ils sont si sûrs dans leur foi qu’ils en paraissent arrogants. Ils prêchent le renoncement aux jouissances, à la vie. Ils attendent la mort avec impatience parce qu’elle les délivrera de leur chair et qu’ils seront ressuscités.
    Il m’a serré l’épaule et j’ai senti ses doigts osseux qui se crispaient.
    — Je crois à l’immortalité de l’âme, Serenus, mais pas à cette superstition d’esclaves et de femmes : la résurrection. Parfois, j’en viens à penser que le vrai et le seul crime des chrétiens, c’est la haine de la vie.
    Il a desserré les doigts et murmuré :
    — Beaucoup d’entre eux vont la perdre. Néron et Tigellin ont sans doute déjà compris qu’il faut jeter ces chrétiens en pâture à la plèbe. Ils vont les accuser

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