Néron
prétoriens de sa garde. Puis il se dirigea vers les lupanars, accueilli par les cris aigus des nobles dames, cependant que de l’autre rive les prostituées l’invitaient à se rendre auprès d’elles, lui promettant des plaisirs qu’il n’avait jamais éprouvés.
Tout devait lui sembler possible.
Je l’ai vu, quelques jours plus tard, la tête couverte du flammeum, les yeux baissés comme une jeune vierge, timide sous ce voile de tissu orangé que portent les jeunes épousées lors de la cérémonie nuptiale. Il marchait, aux côtés de l’affranchi Pythagoras, vers les prêtres qui allaient célébrer leur union.
Il était la jeune femme. Il apportait sa dot au mari, le lit nuptial et les torches du mariage.
Et l’on ne s’étonnait même plus qu’un empereur épousât un affranchi, donnât à voir ce mariage, s’offrît même au vu de tous à Pythagoras, comme s’il voulait que chacun vît, que chacun sût qu’il était libre de faire et de jouir comme il le désirait.
Que c’était là son privilège d’empereur.
Rien, pas même le phallus d’un affranchi, ne pouvait souiller sa dignité ni compromettre son pouvoir.
36
Dans les jours qui ont suivi ces jeux, ces festivités, ce mariage grotesque et sacrilège, j’ai cru pourtant que la dignité, la popularité et le pouvoir de Néron seraient ensevelis sous les cendres de l’incendie qui, en six jours et sept nuits, puis, après une accalmie, en trois nouveaux jours, ravagea Rome.
La rumeur accusait Néron d’avoir voulu et organisé ce crime épouvantable.
La ville, notre Rome, était saccagée : trois quartiers n’étaient plus que terre noircie ; sept autres étaient couverts de ruines ; quatre seulement avaient échappé aux flammes.
J’avais vu le feu courir, poussé par le vent, du Palatin au Velabre.
J’avais vu les boutiques s’embraser, les insulae et les gradins du Grand Cirque s’effondrer.
J’avais vu les flammes gravir les collines puis ravager la plaine, les vallées, et les ruelles s’étaient transformées en ruisseaux de feu.
J’avais entendu les cris d’effroi, les lamentations.
Les femmes, les enfants, les vieillards, des dizaines de milliers de citoyens et d’esclaves avaient été, comme des rameaux secs, consumés en l’espace de quelques instants.
Jamais la ville n’avait connu un tel incendie.
Des volutes de fumée noire la recouvraient. Les étages des insulae s’écrasaient avec fracas sur leurs locataires. La foule n’était plus qu’un troupeau que la peur rendait fou.
J’ai couru avec elle.
Le bois qui soutenait les maisons craquait dans un hurlement avant de crépiter et de devenir cendre. On ne pouvait lutter contre ces flammes qui sautaient d’une maison à l’autre et s’engouffraient dans les ruelles.
Les femmes tentaient de retrouver leurs enfants, elles criaient des noms, mais leurs cheveux et leurs tuniques s’enflammaient et leur peau grésillait. Sur l’ordre de Néron, des prétoriens avaient ouvert les jardins de l’empereur et dirigé la foule vers le champ de Mars afin qu’elle s’y réfugiât.
Certains des survivants s’enfuyaient nus, tentant de gagner les champs hors de la ville.
J’ai voulu rassembler quelques hommes pour essayer d’arrêter les flammes. Mais l’eau manquait. Toutes les devantures, les marchandises à étal, autour de nous, étaient en feu. Et ceux qui m’avaient rejoint s’éloignaient. Car des groupes d’hommes au visage noirci par la fumée menaçaient ceux qui voulaient combattre l’incendie.
J’ai vu des gens en grand nombre lancer des torches sans même chercher à se dissimuler.
Qui étaient-ils ? Des esclaves obéissant à Néron ? Certains de ces incendiaires ont crié qu’ils obéissaient en effet à des ordres. Était-il possible que ce fut l’empereur qui les donnât ?
J’ai hésité à le croire, tant l’infamie, le sacrilège, le crime eussent été immenses.
C’était Rome, notre Rome qui périssait, plus de quatre siècles après avoir été détruite par les Gaulois.
Il fallait être fou pour livrer ainsi aux flammes des milliers d’habitations, chacune de cinq ou six étages.
Il fallait être l’ennemi de Rome pour se réjouir de voir s’embraser les temples de nos divinités, celui de Jupiter et celui de Vesta, de voir palais et nobles demeures disparaître avec les joyaux, les enseignes des légions victorieuses, les prises de guerre, toute la mémoire glorieuse de
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