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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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te souviens du bal, place Garibaldi, et de la promenade, le 31
juillet. Je m’en souviens et ça me donne du courage ! ».
    — Non, répète Louise, non.
    — Merci, dit Helena.
    Louise s’écarte, quitte la gare, descend l’avenue qu’empruntent
les voitures chargées de blessés. Elle garde les mains contre son ventre, elle
se masse en marchant. Une femme se retourne, dit à l’homme qui l’accompagne :
« Tu as vu celle-là ? » « Y en a qui se croient tout permis
parce qu’il y a la guerre », répond l’homme.
30
    Parfois, alors qu’elle pétrissait la pâte, Lisa s’arrêtait,
appuyant les deux paumes à la planche, laissant la feuille qu’elle étirait
sécher, l’oubliant, restant ainsi debout, voûtée, face au mur de la cuisine,
les yeux ouverts mais ne distinguant plus les objets, le pot de grès rempli de
farine, la bouteille d’huile, l’assiette couverte d’oignons qu’elle venait de
couper et de faire revenir. Des images fixes devant elle, la cuisine des Merani
et ces verres qu’elle devait laver, Dante couché par terre, à plat ventre,
qu’elle prenait contre elle, elle allait lui donner le sein, elle sentait sa
bouche.
    Violette poussait la porte : « Ma, Ma… »
    Lisa fermait les yeux, les rouvrait : « Qu’est-ce
que tu veux ? » demandait-elle, machinalement, recommençant à amincir
la pâte, l’ameublissant avec quelques gouttes d’huile.
    — Millo, disait Violette baissant la voix, on dit qu’il
a été tué, ils ont fermé le magasin !
    Dante, Dante.
    Lisa bousculait sa fille, descendait l’escalier en courant,
Violette derrière elle criait : « Ma, Ma… » Un tramway empêchait
Lisa de voir, alors qu’elle débouchait du porche dans la rue de la République,
l’épicerie Millo. Le tramway avançait, Lisa était immobile au bord du trottoir
attendant qu’il passe, si lasse tout à coup, qu’elle avait envie de s’asseoir
là, dans la rue, entourant ses jambes de ses bras, la tête posée sur les
genoux, comme elle faisait quand elle était petite fille, seule dans sa chambre
et qu’elle avait peur, qu’elle se blottissait ainsi sur elle-même, comme si les
bras qu’elle serrait autour d’elle n’avaient pas été les siens. Le tramway
était passé. Devant le magasin, posés à même le trottoir, les cageots remplis
de légumes, comme si la boutique était ouverte, mais le rideau de fer était
baissé. Dante, Dante.
    Lisa traversa la rue lentement, les bras croisés sur sa
poitrine. Seigneur, faites que je meure avant mes enfants, Seigneur, je vous en
supplie, faites-moi mourir avant eux. Sainte Vierge, Vierge Marie, mère de
Dieu. Elle murmurait, elle touchait le crucifix qu’elle portait contre sa peau,
entre ses seins. Dante, quand il tétait, qu’il était plein, le lait, raie
blanche entre ses lèvres, saisissait le crucifix avec ses doigts, tirait sur la
chaînette. Et Louise, plus tard.
    Sainte Vierge, quand Louise saura, Sainte Vierge.
    Lisa entrait dans la cour, se dirigeait vers la porte de
derrière, celle qui donnait dans la cuisine des Millo, dans l’arrière-boutique.
Une voix aiguë qui se brisait, recommençait, la voix des enfants avant qu’ils
sachent dire un mot, quand les pleurs viennent du ventre et de la gorge, la
voix aiguë qui ne s’interrompait que pour reprendre souffle. Lisa voyait le
visage de Dante plissé, quand il était dans le berceau, près de leur lit,
qu’elle l’imaginait malade.
    Et la voix s’élevait.
    La porte était ouverte. Millo, les mains enfoncées dans la
poche du tablier bleu, si replié sur lui-même qu’on aurait dit qu’il voulait se
recroqueviller, s’enrouler jusqu’à ne plus être qu’une boule qui se rétrécit,
se consume. Madame Millo, affalée sur une chaise, le bras gauche tombant sur le
sol, entraînant la tête, la bouche ouverte, la langue qu’on voyait, comme celle
d’un bébé. Lisa s’avança, elle enleva son tablier, mouilla un coin en le
trempant dans un seau d’eau posé sur l’évier.
    La voix monocorde de l’épicière.
    Lisa prit la tête de Madame Millo contre sa poitrine, elle
la serra contre ses seins, la voix qui se fragmentait en des hoquets, elle
mouilla les tempes, le front. Madame Millo l’entoura de ses bras, pleurant,
maintenant secouée de sanglots, comme des vomissements, répétant, complainte
modulée selon le rythme même des pleurs : « Ils me l’ont tué mon
petit, ils me l’ont tué mon petit, mon petit, mon petit, ils

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