Nice
paraissant
croître en intensité, il sembla tout à coup à Dante que Le Cavalier entrait dans une poche de silence.
Les machines avaient repris leur rythme régulier, ralentissaient,
stoppaient. Dante ouvrit l’écoutille, monta sur le pont. Le Cavalier courait
sur son erre, la mer couverte par l’ombre des montagnes était à peine soulevée
par une houle longue qui mourait dans cette rade.
Dante regarda autour de lui. Il lui semblait reconnaître le
dessin de la côte, ce bloc trapézoïdal que surmontaient à chaque angle des
tourelles, c’était le fort du mont Alban, le père les y avait conduits. De là
on apercevait la rade de Villefranche à l’est et à l’ouest la baie des Anges,
Nice. Dante sans réfléchir courut sur le pont, vers la passerelle, il se heurta
à Chaulanges qui en descendait.
— Où est-ce qu’on est, où ?
— Villefranche, dit Chaulanges, on reste en rade
jusqu’à demain matin.
— Mon lieutenant, je descends à terre, dit Dante, je
descends.
Déjà, il courait vers l’écoutille, appelait Raffïn.
Chaulanges se précipita, saisit le bras de Revelli.
— Tu es fou.
Raffïn apparaissait sur le pont.
— On prend le youyou, dit Dante, il m’amène à terre, il
revient. Je rentre par mes propres moyens. Si je suis pas là, portez-moi
déserteur.
— Tu es fou, dit Chaulanges, tu es fou.
Mais il baissait la voix, s’écartait de Revelli.
— Le commandant vient de se coucher, disait-il.
Il s’éloignait vers la passerelle, laissant Dante et Raffin
courir le long des superstructures vers le youyou à l’arrière, le mettant à
flot, souquant chacun sur un aviron.
— Fais pas le con, disait Raffïn, je sais pas si je
pourrai être là.
— Je me débrouille, matelot, disait Dante, en sautant à
terre sur le quai de la darse.
Il se mit à courir, remontant vers Villefranche. Il était en
espadrilles, le vent qui était tombé avait balayé le ciel. Il connaissait les
raccourcis, la route qui monte vers le col et de là descend vers Nice, aboutit
à la rue Barla, il riait à gorge déployée en courant, la joie de l’effort, de
sentir que les muscles tournent, bruit régulier des pas sur la route, puis plus
vite dans la descente, vers les lumières de la place en bas, l’odeur des pins,
des lauriers, une charrette qui passe ; plus il descendait plus l’air
devenait tiède, entrant sous le tricot, séchant la sueur. La rue Barla, longue
ligne droite, il accéléra, une silhouette qui se retournait. Il avait son calot
à la main, il vit la boutique du coiffeur, l’épicerie Millo, le porche, les
escaliers, il donna un coup de poing dans la porte, voulut recommencer mais la
porte s’ouvrit, sa mère était là, les cheveux défaits, les tresses dénouées
tombant de part et d’autre sur la chemise de nuit blanche, elle était contre
lui, sa chair si douce, oreiller de plumes où l’on plonge son visage, « maman,
maman », elle pleurait, il riait, Lisa cria :
— Vincente, Vincente.
Il était déjà près d’eux, le pantalon mal boutonné, la
grosse chemise de toile, échancrée, qu’il tentait d’enfiler, il prenait Dante
contre lui, et Dante sentait la barbe de son enfance contre laquelle il aimait
se frotter, Vincente lui prenant la nuque, appuyant son visage contre le sien.
— Qu’est-ce que tu as fait, dit-il tout à coup.
Antoine venait d’apporter une lampe à acétylène à la lumière
violente et ils regardaient tous Dante, Violette apparaissant la dernière,
courant vers son frère, Lisa disant :
— Je le sentais que tu devais venir, depuis quatre
nuits je ne dormais pas, j’étais sûre.
Elle le prenait contre elle, comme si elle le dissimulait
aux autres.
— Il faut que je reparte.
Il expliqua, Vincente le poussa dans la cuisine.
— Mange, dit-il, Lisa prépare-lui quelque chose. Je
vais atteler.
Il prit sa veste, cria :
— Antoine, viens avec moi, on ira plus vite.
Dante les entendit qui couraient dans l’escalier puis leurs
pas dans la rue de la République. Alors il s’assit, sentit la fatigue, l’envie
de dormir. Sa mère avait jeté un sac de charbon sur les braises, le feu
reprenait.
— Je te fais chauffer de l’eau, dit-elle.
— Il faut que je reparte.
Elle prépara la bassine, versa l’eau chaude. Il enleva son
tricot noir d’huile, de graisse, de charbon. Elle se mit à le frictionner, le
couvrant de savon et il se laissait faire les mains plongées dans l’eau tiède,
la tête
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