Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
un écriteau indiquant « WC pour MM. les
Officiers – Cabinets pour les sous-officiers – Latrines pour la
troupe », le voisin de Luigi lui envoyant un coup de coude « non, tu
la vois leur égalité et c’est pour ça qui faut crever » ; on leur
avait distribué des capotes, un casque, un fusil mais pas de cartouches. Après,
on roule encore, trains, camions, un officier bondit sur la plate-forme, l’étui
contenant le revolver dégrafé, la main sur le ceinturon : « Vous les
fortes têtes, vous pouvez vous racheter, on efface tout si vous faites votre
devoir, sinon, si c’est pas ceux d’en face, c’est moi. » On les avait
dispersés dans des sections, qui tenaient une dizaine de mètres de tranchées,
des trous d’obus, ce qui restait d’un fort. Soif, boue, la torsion de l’air qui
arrache un soldat de la tranchée, le broie. Luigi s’enfonce, il mange de la
boue, quelqu’un le secoue, le pousse sur le parapet, il résiste et l’autre
cède, glisse le long des jambes de Luigi, s’étale dans la tranchée, dos fendu
par un éclat. Le barrage d’artillerie, nuit, jour. Les brancardiers ont ramassé
Luigi dans un trou d’obus. Sans doute avait-il été soulevé, projeté. Jambes
criblées d’éclats, côtes défoncées, la main droite et l’avant-bras arrachés.
    Les doigts qu’on cherche. Et pendant qu’on les cherche, on
pense. L’hôpital donne sur un parc planté de peupliers et de frênes.
    — Vous n’écrivez pas ? demande une bonne dame qui
vient tricoter près des blessés. Voulez-vous que je le fasse ?
    Luigi secouait la tête. Il souriait.
    — Vous au moins, vous avez un bon moral.
    Il montrait sa main gauche, il disait comme le caporal du
poste de secours.
    — Il m’en reste une.
    Il faudrait beaucoup de temps pour qu’il réussisse à leur
faire payer ces cinq doigts qu’ils lui avaient pris.
     
    — Merani, répète Luigi alors que Rose continue de
caresser son moignon, qu’elle n’a pas répondu, il te baise depuis quand ?
    Elle s’écarte, elle rit, elle passe ses deux mains dans les
cheveux, les dénoue.
    — Quand ? mais tu…
    Luigi rejette les deux oreillers, s’allonge. Il faut dormir
sur le côté gauche.
    — C’est pour ça que tu m’as fait envoyer là-haut ?
    Elle crie, elle jure sur la tête de sa mère, de son frère.
    — Il savait lui ? demande Luigi.
    — Tu es fou, tu es fou, je vais lui dire.
    — Tu vas te taire, dit Luigi, je suis revenu, alors tu
te tais.
    Il sourit.
    — Je te crois, dit-il.
    Par Merani, il va obtenir la croix de guerre. Ils sont les
plus forts. Ils sont comme Carlo. Mais ils ont les flics, les gendarmes avec
eux. Rose se couche, elle lui prend la taille à deux mains, puis lui embrasse
la poitrine.
    — Tu me crois, dit-elle, tu me crois hein ?
    — Pourquoi je te croirais pas ?
    Elle a deux seins. Il touche l’un avec l’avant-bras, l’autre
avec les doigts. Ça manque une main.
36
    Ritzen écoutait distraitement Merani. De temps à autre il se
massait la cuisse, la plaie en se cicatrisant tendait la peau, provoquait des
démangeaisons.
    — C’est long, disait Merani, et nous avons cru à une
guerre courte.
    Il arpentait son bureau, soulevait les rideaux, laissait
entrer la lumière claire de mai. Ritzen regardait les arbres du jardin, ces
pelouses vertes parce que, avait dit Marguerite, l’hiver avait été pluvieux sur
la côte. « Les hivernants ont été déçus, ils disent que la guerre a changé
le climat. » Elle parlait lentement, sans humour, et lui s’appuyait sur
elle, découvrant qu’à Antibes, à Cannes où ils allaient deux ou trois fois par
semaine, l’atmosphère était celle d’une fête quotidienne, de-ci de-là parmi les
jolies femmes, aux jupes courtes à volants, la tache bleue d’un uniforme et
parfois l’impudence d’un pansement blanc.
    — Vous tenez, bien sûr, continuait Merani, mais
croyez-moi, le front est aussi à l’arrière, il passe par ici, mon cher Ritzen,
par ici, et je me bats comme vous, sur un autre terrain.
    Retrouver les soldats. Le régiment d’infanterie coloniale
avait été presque entièrement massacré. L’artillerie prenant de plein fouet les
tranchées, cinquante hommes parfois couchés d’un seul coup, d’autres enterrés
vivants et ces trois fantassins qu’on avait crus perdus, qui avaient durant
cinq jours frappé contre la paroi de leur abri enfoui, sortant enfin, couverts
de sang, d’urine. Les montées sur le

Weitere Kostenlose Bücher