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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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seau, il lavait
son assiette. Violette s’approchait de lui. «  Fais un effort, papa. »
Vincente avait un mouvement de repli et de gêne, se voûtant comme pour échapper
à l’étreinte de sa fille ou bien pour susciter sa tendresse, l’apitoyer, même.
Mais Violette s’écartait, se défendant contre l’angoisse, cette poigne qui
serrait sa gorge, son ventre, doigts à l’intérieur, tirant la peau de
l’estomac.
    — Je te dis ça…, ajoutait-elle. Tu as même pas soixante
ans, et si tu te laisses aller maintenant…
    Louise rentrait, silencieuse. Elle surveillait le lait de
Lucien, qu’elle faisait chauffer sur la cuisinière à gaz qu’ils venaient d’acheter.
Antoine, lors d’une permission, alors qu’il traînait dans la cuisine, la
chemise ouverte sur la poitrine nue, l’Humanité à la main, tentait de
prendre les uns et les autres à témoin : « Ils le disent, l’occupation,
à quoi ça rime ? Dans la Ruhr, c’est tous des prolétaires, et moi, la
mitrailleuse, je veux bien me coucher derrière, mais tirer sur des ouvriers,
jamais, Boches ou pas, ça… Écoute… »
    Il s’asseyait, lisait le manifeste imprimé en première page.
Il lisait lentement, levant la tête après chaque mot pour s’assurer qu’on
l’avait écouté, compris : Travailleurs allemands, votre ennemi n’est ni
le soldat, ni l’ouvrier, ni le petit paysan français. Votre ennemi commun c’est
le capitalisme allemand et le capitalisme français. Dante entrait, hésitait
un moment sur le seuil de la cuisine.
    — Tu veux du café ? demandait Louise.
    Elle essayait d’allumer le gaz, mais l’appareil qu’avait
fabriqué Dante l’inquiétait. Un morceau de tuyau avec un manche en bois, un
cordon qui s’accrochait à l’ampoule, quelques fils de métal qui dépassaient à
l’extrémité, il fallait les frotter contre l’acier de la cuisinière et des
étincelles jaillissaient. Dante vit Louise qui prenait les allumettes, il vint
vers elle : « Mais comprends ! dit-il. C’est rien, comprends. »
Il frotta les fils sur la plaque, des étincelles… « Tu vois, le courant
s’établit. »
    — Ne donne pas toujours de leçon, dit Louise, d’une
voix lasse, en frottant l’allumeur électrique.
    Violette les aimait, et, en même temps, cette façon qu’ils
avaient de rester eux-mêmes, de répéter les gestes, les phrases, l’irritait.
Elle eût voulu qu’ils changent, et ils changeaient, mais pas comme elle l’eût
espéré. Ils s’enfermaient, Louise serrant son fils contre elle :
    — Che fas ? Fais attention, Lucien, ne cours pas,
ne te penche pas !
    Cette anxiété, l’attente du malheur, comme si, après la mort
de Millo à la guerre, la vie ne pouvait plus être que tragédie.
    — Sors un peu, disait Violette, tiens, regarde.
    Elle plaçait devant elle une robe gaie, gris perle, un
boléro sans ampleur, une petite veste de velours qu’elle achevait de bâtir.
    — Ça t’irait si bien, essaie, continuait Violette.
    Louise prenait la veste, la retournait, la présentait, la
collant à sa poitrine.
    — Tu crois ? demandait-elle, hésitante.
    Au moment où Violette s’imaginait qu’enfin Louise allait
céder au plaisir, sa sœur changeait de visage. « Pour toi, c’est bien »,
murmurait-elle. Si Violette insistait, Louise passait sur le balcon, appelait
Lucien. « Qu’est-ce que tu fais ? Monte. »
    Violette prenait avec colère ses vêtements, les lançait sur
le lit, dans sa chambre, disait à mi-voix : « Qu’est-ce que ça
change, idiote, que tu restes seule ? Il reviendra pas, Millo. Il est mort. »
    Elle leur en voulait à tous. Son père, qui se laissait
aller. À la brasserie, on l’avait déplacé… « Revelli, disait le chef des
entrepôts, tu vas pas apprendre à conduire les camions maintenant. On est des
vieux, c’est pour les jeunes… Mais les chevaux, qu’est-ce que tu veux ?
non, on les enlève… Ils ont décidé de te mettre au lavage, ça te va ? »
    Vincente rentrait, le soir, les mains rouges d’eau et de
soude. Comment les autres, Antoine, Dante, Louise, ne remarquaient-ils pas sa
nouvelle manière de monter l’escalier, traînant ses pas sur les marches
d’ardoise, s’arrêtant à chaque palier, essoufflé, semblait-il, comme s’il avait
eu du mal à lever le pied. Toute la journée il était debout, avec les
manœuvres, les jeunes immigrés de Romagne ou des Abruzzes qui parlaient à peine
l’italien, pour qui il

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