Nice
ou des Américains, plus timides en apparence, mais
plus précis dans leurs propositions. Katia riait.
— Quels cons ! disait-elle. Mais que les hommes
sont cons !
Violette s’appuyait sur le coude :
— Cons ?
Elle avait une moue de mépris.
— Ils nous prennent pour des marchandises à acheter.
Des salauds, oui.
Katia allumait une cigarette, secouait ses cheveux :
— Tu exagères toujours. Ils ont envie, on leur plaît,
ils essaient. Regarde celui-là.
Sans presque bouger les yeux elle montrait un homme d’une soixantaine
d’années, le visage fin, habillé avec élégance.
— Il est là chaque fois que je viens.
— Fais-lui un signe, disait Violette, agressive.
Elle se levait, se penchait vers Katia :
— Tu veux que je lui dise qu’il t’intéresse ?
Elle laissait son amie sur la plage, apprenait quelques
jours plus tard que Katia n’était plus avec Rex.
— Tu sais, cette fois-ci, expliquait Katia, c’est
sérieux, il s’appelle Hollenstein – elle pouffait – un prénom
marrant, Gustav, le propriétaire de l’Hôtel Impérial et du Grand Hôtel des
Iles, au cap d’Antibes. D’une gentillesse ! Viennois. Avec lui, il me
semble que je suis encore à Petrograd, avant.
— Quel âge ? demandait Violette.
Katia Lobanovski faisait un geste d’ignorance :
— Trente ou quarante de plus que toi ?
— Il est gentil, répondait Katia. Tu sais, je ne
demande pas plus à un homme.
Le vent qui enveloppait le visage de Violette soulevait ses
cheveux, et il fallait qu’elle tienne fermement le volant pour ne pas être
déportée.
La mer, sur la longue plage de galets des plaines d’Antibes,
roulait en une houle régulière et frontale, couronnée d’écume blanche. Violette
coupa la route, se gara sur le terre-plein, à la limite de la plage.
Peut-être demandait-elle trop aux hommes ?
Elle sortit de la voiture, marcha sur la grève déserte. Le
vent fort, venant du large, s’opposait à elle par souffles intermittents, la
bousculant parfois, mais elle aimait cette avancée difficile et, au lieu de se
courber un peu, elle se tenait épaules dégagées, tête levée, jambes tendues.
20
Peu à peu, alors qu’ils avaient tant de choses à se dire,
ils ne parlèrent plus que de leurs pères :
— Depuis qu’il a rencontré cette Russe, une Russe, oui,
mon père…
Nathalie s’interrompait, abandonnait le bras d’Alexandre
Revelli, cherchait à voir entre les pins le village que l’ombre encerclait,
recouvrant d’abord les terrasses de l’est en contrebas, gagnant les remparts,
battant les premières fenêtres. Nathalie faisait quelques pas hors du sentier
qu’ils avaient pris et qui montait entre les broussailles et les arbres sur la
colline encore sauvage, séparant Saint-Paul de la route de Vence.
— Vous voyez la maison ? demandait Nathalie.
Jean Karenberg redescendait vers elle avec Alexandre, et ils
apercevaient à l’une des proues des remparts, celle qui était la plus enfoncée
déjà dans l’ombre, les trois fenêtres carrées du dernier étage, les linteaux de
pierre rose.
— Vous êtes admirablement placés, disait Jean. Toute la
montagne…
Il montrait la ligne des baous, falaises bleuissantes,
presque blanches vers les sommets, et qu’on voyait depuis Saint-Paul.
Nathalie prenait de nouveau le bras d’Alexandre, elle
s’appuyait à son épaule, et affectée, moqueuse :
— Demandez à Alexandre ce qu’il en pense. Il n’est pas
du tout de cet avis.
— Il faudrait être fou, répondait-il avec un sourire.
Nathalie se tournait vers Jean Karenberg :
— Cadeau de mariage de mon père. À sa fille, pas à
Alexandre Revelli. Mais Alexandre, susceptible comme son père, vous le
connaissez ?
— Le trust Carlo Revelli, disait Jean.
Il secouait la tête, ironique :
— Puissance locale, capitaliste, le fils n’est pas si
mal.
Il donnait une tape amicale sur l’épaule d’Alexandre :
— Tu tremblais, continuait Jean.
Il expliquait à Nathalie :
— Au lycée, on savait le père d’Alexandre pas facile.
Alors, on laissait à Alexandre les prix d’excellence.
Jean racontait, pendant que tous les trois, côte à côte,
montaient lentement. Chaleur, chant des cigales. Terre rouge recouverte d’aiguilles
de pin. Souvent, la roche à vif formait des marches naturelles qui obligeaient
à de grandes enjambées. Le sentier s’élevait vite, et, en se retournant, Alexandre
apercevait Saint-Paul, nef
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