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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Rome, Florence.
    Carlo Revelli se levait, prenait un cigare dans le tiroir du
buffet. À ce moment, chez Alexandre, cette envie de dire : « Papa, je
vais à Mondovi, tu le sais bien ! »
    Pourquoi se taisait-il ?
    Avant son départ pour l’Italie, il rencontrait Nathalie
Hollenstein, se promenait sur les quais du port. Ils s’étaient vus souvent
depuis l’inauguration du Grand Hôtel des Iles. Au château, ils s’accoudaient au
parapet, et Alexandre disait :
    — Je veux aller en Italie pour les monuments, bien sûr,
les ancêtres…
    Il passait la frontière, des carabiniers en uniforme noir et
rouge faisaient les cent pas sur le quai de la gare de Vintimille. Des miliciens
en chemise noire, le mousqueton en bandoulière, se tenaient aux extrémités du
train. Parade grimaçante du régime qui irritait Alexandre. « Quels cons »,
pensait-il, penché à la portière. Quel pays de cons. Mais ces appels en
italien, ces silhouettes, paysans au pantalon gris rayé, femmes en fichu,
portant un panier d’osier, tout cela comme des souvenirs sans date.
    Il voulait d’abord se rendre à Florence, et voilà qu’à
Savone, alors que son train stationnait, il entendait un nom parmi d’autres : Mondovi. Il saisissait sa valise, sautait sur le quai, trouvait le train
en partance pour Mondovi, Cuneo, Torino. Des paysans encore, tassés sur
les banquettes de bois, une odeur de foin qui s’emparait de l’air au fur et à
mesure que le train s’éloignait de la côte, atteignait, après avoir franchi les
longs tunnels des Apennins, une plaine mamelonnée, ondulations douces, îles
forestières au milieu des étendues cultivées ; cette minutie, cette
dentelle, les vignes hautes dont les branches s’enroulaient sur des fils de fer
tendus, d’un cep à l’autre, comme le brin majeur d’une trame.
    Près d’Alexandre, appuyé lui aussi à la fenêtre dans le
couloir du compartiment, un paysan fumait. Mains qui ressemblaient à celles du
père, paume épaisse, veines comme de grosses nervures. L’émotion. Reconnaître
un paysage et ses hommes sans les avoir jamais vus, sans n’y avoir jamais
pensé, se sentir tout à coup de ce pays, alors qu’on se croit d’ailleurs, qu’on
comprend à peine la langue, et pourtant la voici qui renaît, qu’on se souvient
des mots que la mère prononçait, ou le grand-père Forzanengo, auquel ce paysan
ressemble aussi. Mémoire d’avant la conscience.
    Alexandre montait la rue en pente de Mondovi, découvrait
l’église et la place en pans coupés, cette architecture théâtrale et naturelle.
Il s’asseyait sur le mur et, face aux maisons nobles, regardait le café où
péroraient des hommes en uniforme. Deux d’entre eux s’étaient dirigés vers lui,
l’interpellant, lui demandant : I documenti, prego, feuilletant le
passeport, répétant le nom : Revelli, Revelli, Italiano ?
Piemontese ?
    Alexandre secouait la tête : « Français »,
disait-il, accentuant encore cette prononciation parisienne qu’il avait acquise
depuis qu’il était aux Beaux-Arts. Les deux miliciens fascistes riaient,
suffisants : Nizza, nato a Nizza, la città di Garibaldi. « Né
à Nice ? La ville de Garibaldi. Français ? »
    Il avait fallu les suivre jusqu’à la « Questura »,
découvrir la prétention grotesque de ces fonctionnaires provinciaux, l’un d’eux
parlant français, disant à Alexandre :
    — Revelli ? Mais vous êtes d’ici. Nice, c’est les
Piémontais qui l’ont faite. Elle a toujours été italienne. Pour nous, vous êtes
italien, votre père sûrement…
    Alexandre entouré de jeunes gens en uniforme qui se
saluaient. Grands coups de talons. Bras levés. Il répétait : « Je
suis français ! » Manière de se protéger, de refuser le fascisme.
    — En tout cas, lui expliquait-on, vous le serez plus
longtemps.
    Ils s’esclaffaient, lui donnaient des claques amicales sur
l’épaule :
    « Italiano, ma si, Italiano,
Mussolini… »
    Ils le laissaient enfin partir, lui faisant la morale :
    — Vous, un fils d’italien, vous êtes italien. Vous
devriez être fier, maintenant. Plus personne n’a besoin de s’expatrier, plus
personne. Mussolini…
    Ils le menaçaient parce qu’il ne pouvait s’empêcher de
sourire : « Zona militare qui, ici… », disaient-ils.
    Alexandre quittait Mondovi peu après. Il se souvenait. Par
quels détours cette phrase apparaissait-elle, quels mouvements profonds en lui
faisaient glisser les

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