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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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d’être d’accord.
    Parfois, Gustav Hollenstein, quand Nathalie avait terminé de
jouer, s’appuyait au piano. Elle laissait aller une de ses mains le long des
touches, émiettement songeur, pour se protéger du vide qui s’abattrait sur eux
quand elle aurait refermé le piano, ce silence opaque du salon aux colonnes de
l’Hôtel Impérial où Nathalie avait l’habitude de jouer pour son père.
    Gustav Hollenstein attendait pour parler qu’ait pris fin
l’immobilité mouvante de la musique.
    — C’est ridicule, disait-il alors, ridicule toutes ces
activités. Je multiplie, pourquoi ? Ce Grand Hôtel des Iles, maintenant,
et je ne m’intéresse qu’à la musique.
    Il faisait le tour du piano, embrassait sa fille :
    — Tu es finalement mon seul instant de vie, de vraie
vie. Le reste…
    Il se redressait, regardait les tapisseries, les colonnes de
marbre rose :
    — Le reste, manière d’occuper le temps.
    Nathalie riait, ou bien, si elle avait l’impression que ses
mains n’avaient su tenir le rythme, dévorant un intervalle, ce silence comme
une autre note éclatant entre les notes, elle s’emportait :
    — Tu mens, papa. Quel théâtre ! Tu adores ce que
tu fais. À ta manière, tu composes, tu jongles. Tu joues et tu veux gagner.
    Elle se levait :
    — Tu aimes le succès. Tu es heureux d’avoir eu raison.
    Gustav Hollenstein, l’un des premiers, avait eu l’intuition
de la saison d’été, de la vogue des bains de mer. De Saint-Tropez à Monte-Carlo
il avait continué d’acheter des terrains proches du rivage. Le Grand Hôtel des
Iles était devenu en moins de trois ans le lieu de rencontre des milliardaires.
Ils amarraient leur yacht à Cannes ou bien l’embossaient entre les îles de
Lérins et la côte, leurs canots faisant la navette des navires au débarcadère
de l’hôtel. Ils sautaient sur le quai, peignoir de bain blanc, peau hâlée. Ils
nageaient dans la piscine taillée au ras des vagues, dans les rochers battus
par l’écume.
    À Nice, ils traversaient la Promenade des Anglais en tenue de
plage, descendaient à la Grande Bleue, faisaient la cour aux quelques
filles, des mannequins, des figurantes venues des studios de la Victorine.
    Nathalie, s’ils s’approchaient d’elle, les décourageait
vite. Elle se levait pour regagner l’hôtel.
    — Tu rentres déjà ?
    Gustav Hollenstein croisait sa fille dans le hall.
    — Tes milliardaires, répondait-elle. Je vais choisir
une île déserte !
    Il la suivait, plaisantait :
    — Evidemment, évidemment. Maintenant, tu es une femme.
    Puis, comme il devinait sa colère :
    — C’est ainsi, disait-il. Tu t’insurges, bien sûr, mais
regarde.
    Ils s’installaient l’un près de l’autre sur le balcon de
leur appartement. Devant eux, la baie, voiliers sur fond bleu pâle, va-et-vient
des voitures le long des deux voies de la Promenade des Anglais. Des grooms en
costume bleu à parements rouges couraient vers la station de taxis proche, et
la foule massée sur les trottoirs, face à l’entrée de l’hôtel, espérait
apercevoir l’acteur célèbre dont l ’Eclaireur de Nice et du Sud-Est avait
annoncé l’arrivée. Il descendait les marches de l’hôtel, souriant, mince dans
son costume d’alpaga blanc. Applaudissements, quelques bravos de femmes.
    — Je me souviens, continuait Hollenstein, j’étais
correspondant à Paris pour un journal de Vienne, à ce moment-là. Avant la
guerre, bien sûr, je m’imaginais qu’on pouvait tout changer. Je croyais.
    Il prenait son long porte-cigarette, y plaçait lentement une
cigarette. Il le portait à sa bouche, parlant avec les dents serrées, et cela
donnait à sa voix une rugosité qui retenait Nathalie. Elle était émue de
l’accent allemand de son père, de cette difficulté qu’il semblait avoir tout à
coup à trouver ses mots, à les arracher au passé. Nathalie, certaine alors que
son père ne mentait pas.
    — Je croyais, reprenait-il.
    Il s’interrompait.
    — Quoi, papa ?
    Elle approchait son fauteuil du sien, posait la main sur le
bras de son père.
    — Je n’imaginais pas, continuait-il. Je croyais que
nous étions, ici en Europe – un silence – Vienne, Paris, comprends-tu ?
Je pouvais croire que la civilisation ici… Mais j’ai suivi l’affaire Dreyfus
pour mon journal.
    Il souriait, allumait enfin la cigarette :
    — Je comprends vite. Qualité, défaut ? Ton oncle
Karenberg, lui, croyait encore. Moi, j’ai senti la guerre.

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