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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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s’éloigna dans le couloir d’où parvenait encore, forte et joyeuse
la voix du docteur Merani.
    Le lendemain soir, la fête continua à Gairaut, dans la
propriété Merani. Vincente, Lisa, Luigi, Thérèse et Madame Merani étaient
montés dès le matin. La journée était encore plus douce que la veille et de la
route, après la cascade, la ville n’était qu’une partie à peine moins
brillante, dans les reflets du soleil sur les toits et les vitres, de la mer.
Avec Cauvin, Vincente et Luigi installèrent la tente, dans le parc, devant la
maison. Un mât central, qu’on calait avec des coins rentrés en force dans la
terre à coups de masse, puis on tendait la toile, accrochant les filins aux
branches des arbres. Luigi grimpait, Vincente lui lançait le filin et il
tirait, chantant des refrains du Piémont, un air d’opéra. Un été, il était
parti du côté de Ceva, chez un oncle, celui que le père appelait par dérision « il
bel cantante », le « beau chanteur » et, Vincente se souvenait,
au retour Luigi avait commencé à chanter. Mais la maison de Mondovi n’était
plus accueillante aux chansons. Le père venait de mourir. Le visage de la mère
s’était froissé, deux plis profonds de chaque côté de la bouche. Et Carlo avait
dit : « Si tu chantes ici, je t’arrache la langue. »
    Vincente s’arrêta. Il regardait Luigi qui nouait un filin,
puis qui, adossé au tronc, continuait sa chanson.
     
    « Amore mio non piangere
    Se me ne vado via
    Ritorno a casa mia. »
     
    Le visage de Luigi se transformait, s’affinait, semblait
trouver une vigueur neuve, et cette voix donnait à Vincente, envie de pleurer,
de retourner là-bas, ne fût-ce qu’une fois, pour revoir, pour que les souvenirs
ne soient pas seulement cette poussière d’instants, d’images, mais aussi un
vrai bruit, la sirène de la manufacture, une forme dans l’espace, cette borne
près de la place, la maison, et ce chemin bordé de peupliers qui conduisait au
cimetière.
    Luigi avait cessé de chanter. Et le silence, tout à coup,
était comme un creux qui s’ouvre sous les pieds et vous entraîne.
    — Mais tu chantes ? Quelle voix, Lisa, tu as
entendu.
    Madame Merani était sur la terrasse de la maison, elle
interpellait Lisa, qui sortant d’une chambre apparut à son tour.
    — Vincente ! Qui lui a appris ? demanda
Madame Merani.
    Vincente fit un geste vague.
    — Bien sûr tu ne sais rien, pauvre petit, avec ces deux
brutes, Luigi, Luigi.
    Le trou dans lequel tombait Vincente était profond.
Maintenant qu’ils l’avaient surprise, volée, la voix de Luigi serait autre.
Elle venait de là-bas, de Ceva, elle était née dans ce berceau que la mère
plaçait près de son lit, et sur lequel elle se penchait, en des temps
lointains, quand le père vivait encore, qu’il jouait aux cartes avec ses deux
grands fils, Vincente, Carlo, et le dernier s’endormait dans son berceau, la
mère chantant une complainte, douce, chaude, comme l’est le duvet d’un oiseau.
    Fini ce chant.
    Luigi se laissait aller le long du tronc. Il avait repris
son expression habituelle, la lèvre boudeuse, la tête rentrée dans les épaules.
Il regarda Vincente un long moment puis lança :
    — Madame, Madame, je viens.
    Et il courut vers l’entrée de la maison.
    Les voitures commencèrent à arriver au coucher du soleil. Thérèse
et Madame Cauvin avaient dressé une longue table sous la tente, nappe blanche brodée
et couverts d’argent à manche de nacre. Au centre, énormes, comme des membres
disjoints, gonflés et morts, quatre porcelets rôtis, leur peau craquelée,
ficelés et bourrés d’herbes odorantes. Vincente était à la cuisine, lavant les
assiettes et les verres. « Tu ne veux pas servir, naturellement, avait
demandé Madame Merani, bien, c’est Lisa, et Thérèse, qui le feront, toi tu
laveras à leur place, puisque tu préfères, tu renverserais tout, tu es un
paysan, moi qui voulais t’acheter un habit, eh bien non, ce sera toujours une
économie, lave, reste au bas de l’échelle, va, tu n’es qu’un paysan, tu sens
encore la vache, l’étable. »
    À plusieurs reprises, Vincente dut remplacer les lampes sur
la table. Il fallait une lumière forte et le pétrole brûlait vite. Lisa entrait
dans la cuisine :
    — Il faut que tu prennes les lampes, disait-elle,
Madame veut que tu les remplisses, les trois du centre, fais vite.
    Elle l’observait un moment, indécise, puis d’une voix plus
basse,

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