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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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n’était pas encore
sortie que Madame Merani la rappelait depuis la fenêtre de la cuisine : « Lisa,
où as-tu mis l’éventail, je m’étouffe », Vincente montait derrière Lisa.
Madame Merani, le visage rouge, s’était assise sur une chaise dans la cuisine, « dégrafe-moi »,
disait-elle à voix basse, « vite ». Lisa d’un geste demandait à
Vincente de remuer l’un des battants de la fenêtre pour faire entrer un peu
d’air. Il était doux, chargé de l’odeur des lauriers-roses, arbres proches du
jardin public. La journée avait été transparente, la mer et le ciel
paraissaient recouverts d’une gaze bleutée, blanche par endroits quand
s’étiraient quelques nuages plats, lointains, fils dispersés d’un voile. La
plus belle journée depuis des semaines.
    Le matin de ce 30 mars 1890, Madame Merani, en revenant de
la première messe avait dit rentrant dans la cuisine : « Il fait beau,
j’ai mis un cierge à saint Jean-Baptiste, le docteur doit être élu. » Elle
s’était signée. « Mais il ne faut plus en parler maintenant, Lisa tu vas
m’aider, nous allons faire le grand salon, il y a une poussière sous ces meubles !
Vincente les poussera. »
    Toute la journée ils avaient déplacé les consoles, les
vitrines, battu les tapis, épousseté les objets, lavé les vases, nettoyé les
vitres. Puis, Luigi avait crié de la cour : « Il est élu, il est élu. »
    — Ça va mieux, dit Madame Merani, va chercher les
fleurs Lisa, vite.
    Elle se levait, tenant la main sur son cœur. « L’émotion,
ça me tuera, je suis trop sensible », disait-elle.
    Peu après, Vincente avait entendu des acclamations et des
cris. De l’une des fenêtres qui ouvrait sur la rue Saint-François-de-Paule, il
pouvait apercevoir un groupe qui brandissait un drapeau. Des torches
oscillaient au-dessus des têtes et parfois, quand le cortège se trouvait dans
l’axe de l’une des rues qui donnaient sur la promenade des Anglais, les flammes
vacillaient, courbées par la brise qui s’engouffrait dans ces rues et glissait
vers la mer. Les voix alors, au moment même où l’obscurité s’étendait,
paraissaient plus proches, comme portées, puis les flammes s’élevaient à
nouveau et les voix s’éloignaient.
    Vincente eût aimé rester à la fenêtre, le groupe s’était
arrêté devant la maison, il entendait la voix du docteur Merani qui lançait au
milieu des applaudissements : « C’est une victoire de Nice et de la
République », mais Madame Merani criait dans le couloir « Vincente ».
Elle voulait qu’il se place devant la porte, qu’il interdise l’entrée à tous
ceux qui n’avaient pas un carton portant la signature du docteur : « Tu
entends, personne, je ne veux pas des gens du babazouk ici, on leur donnera à
boire, ils ont bien voté, mais dans la cour, tu entends, dis-le-leur. »
Elle avait toujours le visage rouge, elle transpirait comme si elle avait eu
peur de cette foule qui lançait à intervalle répété : « Viva Merani,
viva Merani. » Quand il n’y eut plus dans la rue qu’une dizaine de
personnes qui bavardaient, Vincente remonta et passant dans le couloir il
regarda dans le salon. Lisa et Thérèse servaient les invités, des hommes pour
la plupart, qui entouraient Merani. Une coupe à la main, le docteur pérorait :
« Ils ont voulu me salir avec l’histoire de Boulanger, mais moi, le
général Boulanger… » Vincente alla s’asseoir dans la cuisine, les bras
croisés sur le rebord de la fenêtre ouverte, il regarda droit devant lui, sans
voir la façade, la cour, sans entendre les dernières voix qui montaient de la
rue. En Italie c’était le roi, ici la République. Il y avait un député à
Mondovi, un ici.
    Un bruit derrière lui. Vincente se retourna. Lisa s’essuyait
le visage avec son tablier. La mère aussi, souvent, faisait ce geste.
    — Tu es fatiguée, dit Vincente.
    Lisa eut un mouvement brusque, sa ride au milieu du front,
un instant effacée se reforma.
    — Oui, je suis fatiguée, fatiguée.
    Elle prit les verres posés sur la table en désordre et
commença à les laver, faisant parfois chanter le cristal. Vincente se leva.
Elle était debout devant l’évier, le menton appuyé sur la poitrine, ses doigts
glissaient machinalement sur les verres. Vincente saisit ses poignets, lui
enleva le verre.
    — Va te coucher, dit-il, va, je vais le faire.
    Elle ne dit rien. Essuya les mains à son tablier, regardant
Vincente et

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