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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qui, quand elle est frite, devient croustillante et prend la teinte
jaune de l’or. Jouanet et Grinda buvaient un ballon de rouge. Sauvan poussait
le sien auquel il n’avait pas touché vers Grinda et, Carlo, après avoir trempé
ses lèvres, fait claquer sa langue, tendait le verre à Jouanet. Il n’aimait pas
boire. Maria et Madame Oberti lui avaient donné l’habitude des toscans. Un luxe
qui le protégeait de l’alcool. Il sortait sa boîte de métal, plate, il prenait
une moitié de cigare. Sauvan souriait. Jouanet et Grinda commandaient un
nouveau ballon, Carlo tentait d’allumer le toscan, les jambes allongées, sa
chaise en équilibre sur les deux pieds de derrière. « Il boit le thé,
c’est une Anglaise » disait Grinda. Sur les chantiers, Carlo était ainsi
l’un des rares ouvriers à ne pas avoir près de lui, au moment de la pause, la
bouteille de vin.
    Assis, le dos appuyé au tronc d’un palmier, dans le parc de
la baronne Karenberg, remettant son toscan à demi fumé dans la boîte, Carlo se
demandait s’il s’agissait d’une Anglaise, ou, à cause du nom, d’une Allemande
ou d’une Autrichienne. L’une de ces femmes que l’on voyait passer en Victoria,
descendant de Cimiez, pour une promenade au bord de la mer, leur peau si
blanche enveloppée de dentelles, de coussins. Elles étaient dans un écrin. Et
pourtant putain, elles chiaient comme tout le monde. Il fallait bien qu’elles
les relèvent leurs jupes. Carlo mit sa boîte dans la musette. Il cracha dans
ses mains. Il en avait encore pour sept ou huit heures. Il prit la pioche,
courba le dos, recommença à creuser. Le sol comme seul horizon. La fatigue
comme seule pensée. Le bruit de l’acier heurtant la terre comme chanson. Ce
n’est qu’au deuxième appel qu’il se redressa, s’appuyant sur le manche de la
pioche, pour regarder cet homme jeune, un lorgnon pinçant son nez, un gilet
blanc sous son veston noir, qui répétait : « Vous avez soif ? »
Il tenait d’une main une carafe de cristal biseauté à demi remplie de vin
rouge, un long bouchon la prolongeant, de l’autre un verre à pied. Il parlait
avec un accent étranger, qui donnait aux mots une consistance pâteuse, comme
s’ils avaient été enveloppés d’une étoffe humide. Il répéta en italien, fit un
geste de la carafe vers le verre.
    — Je n’ai pas soif, dit Carlo.
    Il resta un instant, regardant l’homme, puis s’essuyant le
front du revers de la main, il recommença à piocher, plus profond, rageusement,
et chaque fois qu’il levait le pic au-dessus de sa tête, il voyait l’homme, la
carafe à la main, le gilet blanc, les pantalons rayés, les chaussures de paille
tressée.
    — Arrêtez-vous un moment.
    — Il faut que j’arrive là-bas ce soir, dit Carlo,
montrant la maison.
    — Mais non, mais non.
    — Le patron dit oui.
    — C’est moi qui paie le patron.
    — Ça, moi, je suis ouvrier, je suis payé pour arriver
jusque là-bas ce soir.
    L’homme posa la carafe et le verre près de la tranchée,
s’assit sur le rebord, les jambes pendantes contre la terre grasse.
    — J’expliquerai à votre patron, ce soir ou demain. Je
ne suis pas pressé de voir les travaux finir. C’était ma mère, moi, je ne veux
pas de fontaine, je veux fouiller, nous ne sommes pas très loin des arènes
romaines ici.
    Il enleva son lorgnon, commença à l’essuyer avec un mouchoir
rose. Ainsi le visage baissé, les doigts glissant sur le verre, les cheveux
blonds assez longs qu’il commençait à perdre, ce qui élargissait son front, il
paraissait fragile. Carlo respira plus facilement. Il s’appuya au manche de
l’outil. Ses doigts larges, quand ils avaient ainsi tenu longtemps le manche,
serrant pour qu’il ne glisse pas au moment où il frappait le sol, Carlo avait
du mal à les déplier. Il gardait les poings fermés. Il posa le manche contre sa
poitrine, et fit craquer ses phalanges, il se sentit mieux.
    — Vous commencez tôt le matin ?
    Qu’est-ce qu’il voulait ? Peut-être étaient-ils du même
âge ? Combien de mètres de tranchées pour le prix de ces souliers qu’il
frappait contre la paroi, faisant tomber de petits blocs de terre qui
rougissait la paille blanche et la semelle.
    — Je suis Frédéric Karenberg, le fils, oui, le fils de
la baronne Karenberg. Vous êtes italien ?
    Deux couilles entre les jambes. Pas trois. Deux. Et
peut-être qu’une, une de moins que moi. Des types comme ça, ils n’ont

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