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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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elle ajoutait :
    — Ils ne te verront même pas, ils parlent, ils parlent.
    Vincente enlevait son tablier, boutonnait son gilet, et se
dirigeait vers la table. Les voix, les rires, semblaient rebondir sur la toile
de la tente, se mêler et Vincente ne saisissait qu’un mot de temps à autre sans
pouvoir savoir qui le prononçait. Seule la voix du docteur s’imposait parce que
les autres, quand il parlait, s’éteignaient. L’éclat d’un rire, isolé tout à
coup, restait un instant, couvert bientôt par la phrase lancée du bout de la
table par le nouveau député de Nice : « Le préfet bien sûr avait des
instructions de Paris, mais lui, c’est un brave homme, il comprenait la
situation locale… » Vincente glissait son bras entre deux corps qu’il ne
voyait pas. Il prenait la lampe, s’écartait, revenait. Il fut surpris de
s’entendre appeler par Madame Merani : « Vincente, va chercher ton
frère. » Il fut entouré par le silence, par les regards : « Ce
sont des paysans du Piémont, ils sont arrivés, il y a presque deux ans, des
têtes dures mais honnêtes, et vous allez entendre le plus jeune, une voix
extraordinaire. »
    Ils quittaient la table, s’installaient dans des fauteuils
d’osier. Lisa et Thérèse passaient avec des plateaux portant le café et les
liqueurs.
    — Tu as entendu Vincente ? répétait Madame Merani.
Il doit être prêt.
    Luigi était assis dans le salon. Il portait une chemise
blanche trop grande pour lui et un nœud de velours noir, qui serré autour du
col, faisait ressortir son visage gonflé, blanchâtre. Vincente s’immobilisa
devant lui. Il avait une tête ronde.
    — Elle m’a coupé les cheveux, dit Luigi.
    — Ils t’attendent.
    Luigi tira sur sa chemise et sortit. Ce fut le silence. Le
bruit régulier de la fontaine, le heurt des verres et la voix qui s’élevait,
frêle, presque douloureuse dans sa clarté vive comme la brisure d’un cristal.
    Vincente se dressa. Il ne pouvait pas. C’était comme le jour
où la mère était morte. Le même désir de hurler, non pas avec la bouche, mais
avec le ventre. Il avait quitté la maison, marché seul dans les rues de
Mondovi. Là, chez les Merani, il voulait que son cri étouffe toutes les voix,
fasse éclater les vitres, saccage, comme l’une de ces bourrasques d’été, qui,
dans le Piémont, balayent la plaine, arrachant les toits, déracinant les arbres
puis vient le calme et la pluie fine apaisante.
    Il sortit sur la terrasse. Luigi était debout, ce nœud de
velours comme un coussin sur lequel était placé sa tête d’albâtre. Il avait
croisé les bras, et les jambes écartées, il chantait, le docteur Merani fumait,
les yeux mi-clos, deux femmes se penchaient l’une vers l’autre. Vincente fit un
pas. Il voulait que ce chant cesse.
    — Viens, dit Lisa, viens, ne reste pas là.
    Elle lui prenait le bras, elle ouvrait sa main qu’il tenait
serrée, poing prêt à frapper.
    — Viens.
    Elle l’entraînait. Ils passaient derrière la maison, ils
s’enfonçaient dans le chemin qui, à travers les planches d’oliviers, descend
vers le bas de la colline de Gairaut, vers la propriété de la comtesse
d’Aspremont. Lisa marchait vite, comme si elle eût voulu elle aussi que
s’étouffe ce chant. Bientôt, ils furent au milieu des oliviers, avec le seul
bruit de l’eau. Ils étaient au-dessus du courant. Vincente se pencha. Il
pouvait atteindre l’eau froide de la montagne. Il en prit dans ses paumes,
s’aspergea le visage. Lisa se taisait, assise assez loin de lui, le visage
caché par l’ombre portée des arbres, flaque noire dans la nuit claire.
    — On va remonter, dit-elle.
    Déjà elle se levait.
    — Je ne pouvais pas entendre, commença Vincente.
    — Il y a beaucoup de chose qu’on ne peut pas…
    Lisa avait fait quelques pas. Elle était dans la lumière
figée de la lune, comme le tronc d’un arbre jeune et droit.
    — Et on les fait, continuait-elle.
    Vincente se dressa à son tour.
    — Pourquoi ? demanda-t-il.
    Il fit quelques pas vers elle, mais elle s’éloigna,
s’immobilisant plus haut sur le chemin.
    — Mon père est mort, dit-elle. Ma mère avant lui. Mes
trois frères sont partis en Amérique. J’ai une sœur, plus vieille. Elle avait
servi chez le docteur Merani. Elle m’a placée là. Je suis bien.
    — Pourquoi ? répéta Vincente.
    Il avait rejoint Lisa, mais elle recommença à monter devant
lui.
    — On est bien chez les Merani. Ils

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