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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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peut-être
qu’une couille. Carlo mordillait sa moustache.
    — Vous êtes en France depuis longtemps ?
    L’homme remettait son lorgnon, ressemblant à un médecin ou à
un professeur.
    — Un an et demi, dit Carlo en donnant un coup de pioche.
    Il n’était pas payé pour parler. C’est comme les putains, tu
donnes un franc, elles se couchent, les jambes écartées, elles te touchent même
pas avec les mains. Si tu veux des caresses, la main sur le dos, la bouche, il
faut donner plus. Beaucoup plus. Je suis payé pour creuser. Je creuse.
    — Vous n’avez pas tort de vous taire, mais je parle
quand même, continuait Karenberg. Je n’essaie pas de vous dire que vous êtes un
brave homme d’ouvrier, et que je suis un brave propriétaire. À quoi ça sert, n’est-ce
pas ?
    Carlo prit la pelle et commença à aplanir le fond de la
tranchée. Il ne levait plus la tête. Il voyait les souliers blancs, le bout
taché de terre, à quelques mètres de lui.
    — Cela dit, pour que tout soit clair, si vous aimez le
vin, il est bon, frais, et ce sera toujours ça de pris ?
    — Je ne bois pas, dit Carlo.
    — Vous savez lire ?
    La question était si inattendue que Carlo répondit oui, sans
hésiter. Puis il s’en voulut de s’être ainsi laissé prendre. Qu’est-ce que ça
pouvait lui faire à ce Baron qu’il sache lire ou pas ? Karenberg ne
raclait plus la terre avec la pointe des souliers.
    — Qu’est-ce que vous lisez ?
    Carlo était sur ses gardes. Il secoua la tête, cela voulait
dire, rien ou n’importe quoi.
    — J’ai beaucoup de livres, dit Karenberg.
    — Vous avez sûrement beaucoup de tout.
    Carlo lança sa pelle, reprit la pioche, il s’en voulait
encore de cette phrase.
    — C’est vrai. C’est comme ça. Vous êtes vigoureux, j’ai
des rhumatismes. Je ne peux pas faire d’efforts, je m’essouffle tout de suite.
C’est comme ça. Que voulez-vous faire ? J’ai cinquante mille hectares en
Russie, presque une province.
    Carlo creusait. Derrière leur maison à Mondovi, s’étendait
un jardin, trente pas dans le sens de la longueur, une centaine pour la
largeur. Deux arbres, des pommiers qui donnaient des fruits acides. Le père
avait toujours rêvé de les posséder. Un rêve bien sûr.
    — Les Karenberg ont ça depuis toujours, des services
rendus au tsar, il y a quelques siècles, maintenant, c’est à moi, jusqu’à ce
que l’on me reprenne tout ça, le tsar, j’ai des cousins voraces. Je suis devenu
inutile. Pire.
    Il se leva. Posa sur le rebord de la tranchée une boîte
rouge de longs cigares hollandais.
    — Je sais que vous fumez. Je vous ai aperçu tout à
l’heure.
    Il fit quelques pas. Se retourna.
    — Ne les laissez pas. Pensez que vous me prenez un peu
de ce à quoi vous avez droit.
    Il avait une curieuse démarche, la tête rejetée en arrière,
le visage haut levé, comme s’il cherchait dans le ciel son chemin.
6
    La fête avait commencé rue Saint-François-de-Paule, dès la
proclamation des résultats de l’élection. Le docteur Merani l’emportait par
cinq cent soixante-sept voix de majorité. « Député, il est élu, Lisa,
député tu entends. » Madame Merani, un mouchoir à la main, courait du
grand salon à la cuisine, elle embrassait Luigi qui arrivait de la mairie pour
donner la nouvelle : « Tu ne te trompes pas, tu es sûr. » Luigi
se laissait embrasser, « cinq mille neuf cent quarante et une voix pour le
docteur, cinq cent soixante-sept voix de plus que l’autre. »
    « Mon Dieu, mais ils vont venir. »
    Madame Merani se mit alors à crier des ordres d’une voix
aiguë que Vincente ne lui avait encore jamais entendue. « Viens avec moi »,
disait-elle à Vincente. À la cave, devant les casiers à bouteilles, elle
faisait de grands gestes de la main qui dans le cône de lumière se
multipliaient sur les murs, se tordaient, entourant les tonnelets rangés l’un
sur l’autre.
    — Tout ça, il faut que tu montes toutes celles-là. Tout
le champagne, mettez les bouteilles dans les baquets.
    Luigi et Vincente avaient commencé à transporter les
bouteilles. Le cocher attelait pour aller chercher de la glace vive. Lisa et Thérèse
disposaient les tables dans le grand salon, « des fleurs, Lisa, il faut
des fleurs, partout, achète, même à dix francs le panier, dix francs, tu
entends, dis que c’est pour le docteur Merani, ils doivent savoir déjà ».
Lisa traversait la cour, un châle sur les épaules, mais elle

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