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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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crève !
    Luigi claque la porte, Carlo ferme les yeux.
    Luigi, à peine un frère, venu si tard. Presque vingt ans
entre eux deux, et pourtant Carlo avait rêvé de refaire la route avec lui, avec
Vincente, comme si, déjà, il y a cinquante ans, ils n’avaient pas marché chacun
pour soi, Carlo, devant, se retournant pour voir s’ils le suivaient, Luigi, le
dernier, pleurnichant, s’accrochant à la manche de Vincente.
    Chacun pour soi. Chacun sa vie. Le reste, c’était le rêve,
la poésie. Per mé si va nella città dolente.
    Garino, le comptable, entrait, voyait Carlo figé, les lèvres
seules remuant.
    — Monsieur Revelli ?
    Carlo sourit :
    — Je m’en vais, Garino. Aujourd’hui, pour moi, ça
suffit. Tu fermeras le coffre.
    — Vous fermez pas ?
    — Aujourd’hui seulement, dit Carlo.
    Il prit la voiture, monta à Gairaut et glissa dans sa poche
la Divina Commedia, gardant longtemps la main sur les planchettes qui
lui servaient de reliure. Puis, sans répondre aux questions d’Anna, il
ressortit.
    Alexandre Revelli dessinait dans son atelier quand il
entendit sonner. Nathalie lui cria d’ouvrir, elle allaitait Yves au premier
étage de la maison de Saint-Paul, avec devant elle la haute barre bleutée des
montagnes lointaines.
    Carlo devant la porte, face à son fils.
    — Tu me laisses entrer ? dit-il.
    Alexandre bredouillait, appelait Nathalie. Elle paraissait
au sommet de l’escalier, le sein encore découvert, Yves dans les bras.
    — C’est papa, répétait Alexandre. Tu n’es jamais venu
ici, ajoutait-il en montrant l’atelier. Je travaille là.
    Carlo restait dans l’entrée.
    — Je voulais aller jusqu’à Mondovi, disait-il. C’est
loin, trop loin. J’avais envie de faire un petit voyage quand même, et je suis
venu jusqu’à Saint-Paul. Celui-là – il désignait d’un mouvement du menton
Yves – il fallait bien que je le voie un jour, puisque vous le montrez
pas.
    Nathalie descendait. Alexandre ouvrait et fermait des
portes.
    — Calme-toi, disait Nathalie.
    Elle riait.
    — Vous impressionnez votre fils, vous…
    — Je ne te l’ai jamais dit, dit brusquement Alexandre
en regardant son père, mais je suis allé dans ton pays, d’où vous êtes partis.
J’ai tout vu, même à Ceva des cousins. J’y suis allé, je voulais voir.
    — Alors, dit Carlo, mon voyage là-bas, vraiment pour
rien. Tout revient là – il touchait son front. Tu les as vus, les arbres ?
Une forêt, c’est aussi beau que la mer.
    Il prit dans sa poche le livre.
    — Ça, dit-il, j’ai appris à lire dans ce livre, tu le
lui donneras.
    Alexandre montrait à Yves le livre, et l’enfant tendait le
bras, posait la main sur la reliure de bois.
33
    Violette Revelli se penchait vers l’enfant. Un poids en
elle, dans les épaules, la bouche même, le ventre, les cuisses, comme si son
corps avait été partagé en deux, tout le sang refluant dans les seins, les
yeux, l’obligeant à se courber vers le berceau, à s’agenouiller près de lui, et
elle sentait une si grande lassitude, le déséquilibre était si sensible,
qu’elle s’asseyait sur le parquet, posant son avant-bras sur le bord du
berceau, le menton sur son poignet, sa tête lourde qui devait être empourprée.
Petite fille, une seule fois, elle s’était suspendue, alors que la cour était
vide, à la barre de fer où Antoine souvent l’accrochait, la barre coincée entre
les cuisses et les mollets. Elle enviait son frère, et parce qu’elle était
seule, elle essaya, les jupes enveloppant sa tête, l’étouffant. Louise avait
ouvert la fenêtre, hurlé : « Violette, Violette. » Violette
s’était redressée, reprenant pied, s’appuyant au mur. « Tu as tout le sang
à la tête », criait Louise.
    Devant le berceau du fils d’Alexandre et de Nathalie la même
impression de lourdeur rouge.
    Yves dormait, une bave laiteuse recouvrant sa bouche, la
peau du visage si fine que les paupières légèrement bleutées paraissaient
transparentes, et Violette imaginait que c’était le bleu de l’iris qui les
colorait. Il fallait qu’elle résiste, et peut-être la chaleur dans sa tête
venait-elle de cet effort qu’elle faisait pour ne pas caresser le front, passer
sa main sur le duvet brun, sentir le sillon qui partageait le crâne, déplier
les doigts pour s’assurer que la main, si menue, était bien une main. Yves
était le premier bébé qu’elle pouvait observer, sentir, et sans doute
était-elle naïve,

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