Nice
voulez ici aussi ?
Quand Gustav Hollenstein et Katia montaient à Saint-Paul, on
parlait d’abord d’expositions, de constructions. Alexandre travaillait
maintenant pour son père, un projet de Carlo, deux immeubles de cinq étages
près de la plage de Juan-les-Pins.
— Carlo Revelli croit maintenant au tourisme populaire,
disait Hollenstein. Il a racheté l’Hôtel Regina. Et vous savez pourquoi ?
Pour en faire des appartements.
— Pas seulement pour le tourisme ou les affaires,
commençait Nathalie. Mon beau-père, je l’aime bien – Elle se tournait. –
Sam, il faudrait que vous rencontriez Carlo Revelli. Quelqu’un d’extraordinaire.
Il est venu ici, comme ça, sans prévenir. Ils ne se parlaient plus avec
Alexandre. Maintenant, il téléphone, il nous invite. Yves, je suis sûre que
c’est pour Yves qu’il fait ça. Il rajeunit. Il a un but.
— C’est son vrai petit-fils, disait Hollenstein. Le
fils de Charles Merani, bah, c’est un Merani.
— Un fils, un petit-fils, et vous, Sam ?
interrogeait Nathalie.
Violette imaginait la grimace de Sam, elle prévoyait une dérobade.
— Tenez, Alexandre, commençait Sam, je vous ai apporté
un numéro de Gringoire. Il y en a aussi pour les Revelli cette fois-ci.
La voix de Katia :
— Toujours les mêmes histoires, lançait-elle.
Elle se levait, entrait dans la chambre où dormait Yves,
venait s’asseoir près de Violette.
— Ils m’ennuient, chuchotait-elle. Politique, affaires,
guerre, ils ne parlent que de cela. Ton Sam va nous faire son grand numéro sur
l’antisémitisme, comme chaque fois…
Violette, sans répondre, quittait Katia. L’enfant, ce ne
devait pas être un moyen, un prétexte pour ne pas savoir. Elle rejoignait Sam
au salon.
— Il faudrait montrer ça à Jean Karenberg, disait
Nathalie en riant. La puanteur slave, c’est lui.
— Dans un pays comme la France, commençait Alexandre,
en tendant le journal à Violette, en lui montrant l’article, ce n’est là qu’un
phénomène de minorité, de mode, presque.
Violette lisait :
Sommes-nous le dépotoir du monde ? Par toutes nos
routes d’accès transformées en grands collecteurs coule sur nos terres une
tourbe de plus en plus grouillante, de plus en plus fétide. C’est l’immense
flot de la crasse napolitaine, de la guenille levantine, des tristes puanteurs
slaves, de l’affreuse misère andalouse, de la semence d’Abraham et de Judée ;
c’est tout ce que recrachent les vieilles terres de plaies et de fléaux.
Doctrinaires crépus, conspirateurs furtifs, régicides au teint verdâtre,
polacks mités, gratin de ghettos…
Cette mode prenait. Dans les cocktails de presse à la
Grande Bleue, au casino de la Jetée-Promenade, dans une boutique où elle
accompagnait les décorateurs et les costumiers, Violette les entendait, clients
portant des guêtres blanches ou de larges pochettes. « Si l’on était entre
Français, n’est-ce pas ? Ou si l’on n’avait que des idées françaises. Les
Allemands l’ont compris chez eux. Allemand d’abord. Et les Russes ? Ils
sont communistes mais ils appliquent les mêmes principes. » « Vous
savez, avec Blum. Xavier Vallat l’a dit à la tribune de la Chambre. Ah, ça leur
a fait un choc, aux députés ! Pour la première fois, a-t-il dit, ce vieux
pays gallo-romain est gouverné par un juif. » « Il faut une réaction,
le maréchal Pétain, dans son discours à l’Académie française… »
Violette était prise par l’inquiétude. Elle n’avait peur ni
pour elle ni pour Sam. Mais elle craignait de se laisser convaincre qu’il
valait mieux, à cause de tout cela, renoncer. Un enfant maintenant, alors que
la guerre était déjà si proche. Les pages des journaux, les écrans en étaient
barbouillés.
— Comment veux-tu prendre ce risque ? répétait
Sam.
Il s’arrêtait à l’extrême proue des remparts tournée vers le
sud, dominant l’avancée triangulaire du cimetière, marbres couchés, bras de
croix levés sous le mât des cyprès.
— En ce moment où…
Quand, dans le salon d’Alexandre et de Nathalie, ils
échangeaient ces dangers à venir, Violette avait envie de leur dire : « Cessez
un moment de parler de l’Espagne, venez le voir. » Yves, vulnérable et
dépendant, la rassurait. Elle avait peur non pas de la guerre ou de la haine,
Violette, mais d’avoir à affronter seule, sans l’aide d’une vie nouvelle à
défendre, l’hostilité des hommes.
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