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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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j’entendais, au moment où je m’éloignais :
    — Madame Revelli, son mari…
    Je reprenais ma course, je m’approchais de la station de
taxis où n’attendaient plus que deux fiacres. Je me souvenais : mon père
appuyé à la portière d’une voiture, et le chauffeur, sa casquette rejetée en arrière,
les dents couvertes d’or :
    — C’est ton fils, Revelli ?
    Je prenais le volant pendant qu’ils parlaient en niçois, je
klaxonnais, puis nous rentrions mon père et moi, longeant l’hôtel.
    — Jaufret, ses dents, m’expliquait mon père, il les a
perdues en Espagne, un coup de crosse, il s’est échappé, un miracle.
    Jaufret n’était plus à la station. Ma course était
interrompue, je descendais sur la plage. Souvent passait au large un bâtiment
de guerre qui, tout à coup, se dissimulait dans un nuage de fumée noire et sur
la Promenade les badauds s’agglutinaient, tendant les bras vers l’horizon, leur
boite à masque à gaz pendant à leur cou, sur leur ventre. Du château, à midi,
on ne tirait plus le canon. Les chasseurs alpins occupaient l’emplacement
au-dessus du port et leurs patrouilles parcouraient la grève.
    Je rentrais. Ma mère et l’officier étaient debout devant
notre porte, j’esquivais une gifle, je courais jusqu’à ma chambre, je les
écoutais.
    — Vous comprenez, avec tous ces réfugiés, presque tous
juifs, allemands, et dans une ville-frontière, l’état-major est inquiet. Est-ce
qu’on est sûr de tous ces métèques ? C’est facile de se faire passer pour
réfugié, facile, et ils nous prendraient à revers.
    Je fermais ma porte. Je haïssais cette voix, son assurance.
Je n’avais, à l’entendre, aucune surprise. L’officier parlait comme Monsieur
Baudis, des mots qui traînaient dans les cuisines de l’hôtel, dans les groupes
de parents qui attendaient à la sortie de l’école. Mon père, lui, inventait
chaque phrase, seul. J’essayais de les retrouver. Je plaçais sur les
couvertures de mon lit l’escadre qu’il m’avait construite, je créais des
tempêtes, des rades, j’attendais que ma mère crie plusieurs fois « Roland,
Roland » pour me rendre à la cuisine. Me parlait-elle, ou bien n’était-ce
que la litanie continuée de ses reproches ?
    — Un homme qui n’a jamais pensé qu’à lui. Sa politique,
et moi, avec deux enfants.
    Je me levais, je prenais une pomme, je courais à nouveau
vers l’école.
    J’aimais ma ville, les rues blanches qui conduisaient à une
allée de palmiers ou à la mer, les journées d’octobre où brûlait l’été et qui
se prolongeaient en braises rouges au-dessus des collines de l’ouest. Le soir,
après l’étude, au lieu de rentrer, je m’égarais dans les quartiers éloignés,
vers l’est ou le nord. Sur les boulevards bordés d’acacias à peine éclairés par
une lumière bleuâtre, la circulation était rare et je courais souvent au milieu
de la chaussée. De temps à autre, pour me rassurer, j’imitais avec les lèvres
un bruit de détonation, j’épaulais mon cartable, je tirais, j’étais l’agent du Deuxième
Bureau contre Kommandantur, j’avançais courbé, j’entrais dans la cour de
l’hôtel comme un soldat des corps francs, je poussais la porte.
     
    J’ai reconnu un soir, son odeur, tabac froid et sueur, comme
si j’entendais à nouveau son accent, ses récits, et quand ma mère s’est
avancée, je n’ai plus douté. Il était revenu. Elle avait le regard assuré et
méprisant, celui de leurs guerres, quand mon père criait et qu’elle se
contentait de quelques mots, comme des dagues.
    J’ai traversé la cour, je me suis enfoncé dans les caves m’appuyant
contre les murs humides. Pas le temps d’avoir peur des rats. J’ai ouvert la
dernière porte, celle de son atelier et je suis resté à la lisière de la
lumière, n’osant ni fuir ni avancer, suivant chacun de ses gestes, le mouvement
de la main qui essuyait ses yeux, prenait sur l’établi un chiffon dans lequel
il se mouchait. J’avais devant moi un homme qui ressemblait à mon père, mais
cette façon de baisser la tête, de cacher ses yeux sous ses paumes, les coudes
appuyés sur les genoux, cette toux, je ne les connaissais pas. J’avais honte,
je me sentais sale.
    Il s’est levé, m’a vu.
    — Je ne t’ai pas entendu venir, a-t-il dit.
    Les moteurs de la soufflerie se mettaient à tourner,
couvraient sa voix et quand il a voulu s’approcher, j’ai reculé, claquant les
portes des

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