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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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fromage,
la charcuterie, la saumure. Je plongeais mes doigts dans les tonneaux remplis
d’olives et de morue. Louise achetait des réglisses noires, amères, qui
tachaient mes lèvres et ma langue. Appuyé aux sacs de légumes secs posés à même
le sol, j’écoutais ma tante parler de son fils :
    — Lucien, il est dans un fort. Avec l’hiver, là-haut,
ils vont attraper mal, et si les Italiens déclarent la guerre, vous vous rendez
compte.
    Lily, la fiancée qui s’occupait du magasin, m’embrassait.
    — Ta tante Louise, disait-elle, elle voit tout en noir.
    Mes mains s’enfonçaient dans les haricots blancs et froids
comme des cailloux polis.
    — Lucien, il reviendra, j’en suis sûre, ajoutait-elle.
    Puis le canon du château tirait au-dessus du port le coup de
midi. Je courais dans la rue, les pigeons de la place Garibaldi tournaient
au-dessus des platanes, mon père était devant le porche, le vélo à la main.
    — Miejou, midi, disait Louise en m’entraînant.
    Nous laissions passer le tram, nous traversions rapidement :
    — Tu viens nous voir, hein Roland, murmurait mon
grand-père en m’installant sur la selle au milieu du cadre.
    — Ciào, pa, lançait mon père.
    Nous filions dans les rues déjà vides.
    Dans la cour de l’Hôtel Impérial, je sautais :
    — Dis-lui qu’on est là, disait mon père.
    Au bout du couloir, ma mère.
    — Tu es sale.
    Elle se penchait vers moi, me frottait les lèvres à me faire
mal, les bords de la bouche :
    — Qu’est-ce qu’ils t’ont donné encore ? Tu ne vas
plus avoir faim.
    Elle boutonnait ma chemise :
    — Tu veux me faire honte ?
    Elle me coiffait :
    — Tu sais, les gens, ils ont vite jugé, disait-elle. Il
n’y a qu’à voir la façon dont quelqu’un s’habille. On reconnaît tout de suite
un ouvrier, même s’il a un costume. Toi, au moins, ne sois pas comme lui.
    Elle soupirait, regardait vers la cuisine où entrait mon
père.
    J’étais au milieu d’eux. Il me semblait qu’ils tiraient sur
mes bras, serraient chacune de mes mains à me faire mal.
2
    J’imagine et je me souviens.
    Je quittais l’école l’un des premiers, je courais, je
traversais les jardins et je tombais souvent. Le cartable glissait devant moi,
les graviers déchiraient mes genoux, mes paumes, et jusqu’à mon menton, mais je
me demande si je ne recherchais pas ces chutes, l’exploit, une attitude
héroïque alors que mon père était absent.
    Je me redressais avant que les vieilles, assises sous les
lauriers, ne s’approchent. Je boitillais, je nouais un mouchoir, bientôt rouge,
autour de mon genou et j’aimais que ma mère, plus tard, s’accroupisse devant
moi et lave mes plaies à l’eau tiède.
    Parfois j’arrivais dans la cour de récréation ainsi blessé,
je me battais encore jusqu’à ce qu’un instituteur me saisisse par l’oreille,
découvre mes égratignures, m’entraîne dans une classe vide et me sermonne.
    L’absence de mon père m’apprenait la mémoire et me donnait
le regard. Je découvrais une autre ville, née de la guerre. Sur les rideaux de
fer des boutiques, on avait collé une pancarte où j’épelais mobilisé. Dans la cour de l’Hôtel Impérial, devant les cuisines, les camions de
l’armée venaient se ranger dans un crissement aigu de freins. Des soldats
parlaient avec les lingères ; l’un d’eux, des galons d’or sur sa manche,
s’appuyait à notre porte et je m’irritais que ma mère la laissât entrouverte,
qu’elle écoute cet homme au visage rond. Je partais et, au moment où elle
m’appelait, je commençais à courir.
    Il me semble aujourd’hui que la course était ma manière d’être.
J’entends encore le bruit de mes talons résonnant sur le trottoir de la
Promenade des Anglais. Je bousculais les couples, je traversais, bondissant
devant un fiacre, je sautais les tranchées qu’on avait creusées dans les
pelouses, je revenais sur mes pas pour sauter à nouveau, surprendre l’une de
ces langues étrangères, rugueuses, que parlaient de nouveaux touristes en
pelisses noires, en costumes sombres que terminaient des guêtres blanches. La
foule dense, sur la Promenade, s’écoulait, nonchalante. Je courais entre les
fauteuils et les chaises longues bleues, je surprenais un mot et quelquefois je
me laissais surprendre. Monsieur et Madame Baudis, les amis de ma mère, me
retenaient par le bras.
    — On ne voit plus ta maman ? Rien de grave, et ton
père ?
    Je secouais la tête,

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