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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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de
reconnaître mon allégeance, j’abandonnais mon père qui faisait quelques pas
vers la cuisine.
    — Pour sortir de là-bas, a-t-il dit, j’ai signé leur
déclaration. Ils ne m’ont pas libéré pour rien. J’ai signé, tout le monde est
content, non ?
    Il rentrait dans la cuisine, l’eau coulait dans l’évier, il
devait se rincer le visage.
    — Signé, demanda Hollenstein, quoi ?
    Carlo ouvrait la porte. La pluie rebondissait sur le sol de
la cour, frappait toujours de biais. Le portier de l’hôtel présentait les parapluies.
    — Viens me voir à Gairaut, dit Carlo en tirant sur mes
cheveux. Je te ferai travailler au jardin. Je verrai si tu as la tête dure.
    Il était sur le seuil, prenant l’un des parapluies au
portier, montrant l’autre à Gustav Hollenstein, je m’avançais, j’écoutais.
    — Bien sûr il a signé, disait Carlo. On n’a libéré que
ceux qui condamnaient le pacte de Staline avec Hitler.
    — Pourquoi n’aurait-il pas signé ? dit Hollenstein.
J’ai parlé avec lui il y a quelques jours. Il ne comprenait pas. Il
n’approuvait pas, pas du tout.
    Ils s’éloignaient. Je les suivais sous la pluie qui glissait
le long de mes joues, dans mon dos. Carlo s’arrêtait.
    — Ce qu’il pense, c’est qu’il a cédé. Le pacte, le
pacte, est-ce que c’est important pour lui ? Il a peur d’avoir trahi, si
vous voulez.
    — Je ne comprendrai jamais, dit Hollenstein. La
politique, ce sont des faits, des actes. On approuve, on désapprouve. Trahir ?
Qui ? Staline ? Vous comprenez, vous ?
    — J’ai signé souvent dans ma vie, dit Carlo. Je n’en
suis pas fier. Mais je suis là.
    Il se tourna, me vit.
    — Tête dure, dit-il, rentre.
    Je m’immobilisais sous la pluie, au milieu de la cour, les
regardant partir sous les grands parapluies rouges.

3
    J’avais oublié les grands parapluies rouges. Il a fallu,
trente ans plus tard, que je m’arrête devant les escaliers de marbre de l ’Hôtel
Impérial, qu’un portier dans son uniforme bleu s’élance vers un couple qui
sortait. Il bruinait. Le temps, il me semble, a changé depuis mon enfance. Ma
mémoire a retenu des averses et des incandescences et je retrouve maintenant la
ville sous des ciels brumeux, le sol et les carrosseries couverts d’une
pellicule brillante, une rosée du soir à l’automne, nouvelle, ou dont je n’ai
gardé aucun souvenir.
    Le portier déployait un parapluie rouge et j’ai revu la
scène, dans la cour, j’ai éprouvé cette sensation de froid que j’avais
ressentie en rentrant chez nous après être resté immobile à regarder s’éloigner
Carlo Revelli et Gustav Hollenstein. J’avais les cheveux trempés. Ma mère se
précipitait, me poussait dans la cuisine.
    — Ce gosse, il me rendra folle, disait-elle.
    Elle arrachait un torchon des mains de mon père, elle m’en
frictionnait le cou, les tempes, les joues.
    — Tu vas t’enrhumer, répétait-elle.
    J’espérais que la fièvre m’engloutisse, couvre mes yeux,
pour que je ne voie pas mon père tel que je l’apercevais chaque fois que ma mère
retirait le torchon de mon visage. Il était appuyé des deux mains à l’évier,
regardant couler l’eau, la tête baissée. Je me mis à tousser ; j’appelais
la maladie, j’espérais le retour à une enfance profonde, quand on ne comprend
pas les mots, qu’on ne sait rien du père et de la mère, seulement qu’ils se
penchent au-dessus du lit, qu’ils m’embrassent et la gorge s’anime pour un cri
de joie.
    Mais je savais déjà trop. L’arrestation, l’absence m’avaient
initié. Je pressentais les changements, j’avais appris à voir, à deviner le
sens. Les adultes n’étaient plus pour moi des statues bienveillantes et
puissantes, mais des masques fissurés et je lisais dans la façon distraite
qu’avait mon père d’agir, ou dans son silence alors qu’il avait l’habitude de
parler, la honte et la défaite.
    Il était revenu démuni, détrôné et je n’osais pas
m’approcher de lui, dire :
    — Raconte papa, raconte.
    Ils avaient gardé là-bas le livre de ses récits. Il avait
payé sa liberté de sa voix.
     
    Il se tut durant des mois.
    C’était, disait-on, la guerre, l’inattendu dans la vie, et
je garde de ce temps le goût des événements et des surprises.
    Devant une boutique proche de l’hôtel, une queue se formait,
ma mère dans les premiers rangs, la plus grande des femmes. Elle tournait la
tête vers ses voisines, les

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