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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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lui.
    — Je trouve que Roland vous ressemble, commençait
Nathalie, je ne l’avais pas vu depuis…
    Je grimaçais, je m’accrochais au fût d’un lampadaire, je
tournais autour jusqu’à ce que mes yeux se voilent, perdent la faible lumière
bleue des ampoules peintes. Je ne rejoignais mon père et Nathalie qu’à
l’instant où ils paraissaient ne plus se soucier de moi.
    — Alexandre est toujours sur la frontière ?
demandait mon père.
    — On les déplace. Je ne sais rien pendant des semaines.
    Ils marchaient vers l’hôtel, mon père la tête penchée, comme
s’il avait eu peur d’être plus grand que les autres et quand je le voyais
ainsi, respectueux, voûté, mes ongles s’enfonçaient dans ma paume, j’avais
envie de marteler son dos pour qu’il se redresse, j’éprouvais le désir de le
pousser en avant, de lui dire : « Parle aussi. »
    Parfois, sans que je comprenne les raisons de son audace, sa
voix s’élevait et il obligeait tous les autres à l’écouter. Je m’arrêtais de courir,
je m’approchais, je les regardais tous, Monsieur et Madame Baudis, ou même le
directeur Gustav Hollenstein, ou Lebrun qui travaillait avec mon père. Je
dévisageais ma mère. Elle se forçait à l’indifférence, secouait la tête,
bougonnait, haussait les épaules, disait même : « Il n’y a que toi
qui parles », mais elle se taisait bientôt, et Monsieur Baudis, sa
pochette de soie couleur lie-de-vin, l’écoutait aussi. Je m’appuyais à son
fauteuil :
    — Pour la droite, Monsieur Baudis, disait-il, Hitler
n’est pas un ennemi, mais un allié.
    Je ne comprenais pas, mais j’étais sûr avec ma poitrine que
mon père énonçait la vérité et je m’imaginais marchant au premier rang d’un
régiment, battant le tambour révolutionnaire. Ma mère se ressaisissait. Je
devinais sa peur. Mon père s’était avancé trop loin, il avait dû jeter le
masque.
    — Ta politique, disait-elle tout à coup, tu ne sais
parler que de cela ; viens Roland, allons viens.
    Elle prenait ma main, se levait, obligeait ainsi mon père à
s’interrompre.
    Elle avait eu raison d’avoir peur puisqu’on l’avait arrêté,
qu’il était revenu silencieux. Et je lui en voulais de s’être laissé prendre,
d’accepter de se taire. Qu’avait-il donc pour être ainsi vaincu ?
    — À sa dernière permission, continuait Nathalie,
Alexandre me disait que personne ne veut se battre.
    Je m’approchais pour mieux entendre. J’étais avide de
savoir. Peut-être allais-je surprendre le secret, l’origine du pouvoir des
autres, tous ceux que ma mère enviait.
    — Ils en ont de la chance, répétait-elle.
    Ils passaient devant nous sur la Promenade des Anglais et
nous les regardions. Ils entraient à l ’Hôtel Impérial, ils s’asseyaient
avec désinvolture aux terrasses, ils payaient, faisant rouler l’argent sur la
table comme s’il s’était agi de galets. Nous, quand mon père commandait un bock
et deux panachés, Christiane trempant ses lèvres dans le verre de ma mère, ils
en parlaient.
    — Ça a fait… disait mon père. Avec ça, on achète deux
litres de bière et un litre de limonade.
    — Eh bien, on n’ira plus, répondait ma mère, puisqu’on
ne peut même plus se payer ça.
    Elle se mettait alors à marcher plus vite, m’entraînait.
    — J’espère que tu ne seras pas comme lui, disait-elle.
    J’en cherchais le moyen, pour elle, pour moi. J’essayais de
comprendre.
    — Si l’Italie déclare la guerre, Alexandre est en
première ligne, ajoutait Nathalie.
    — Mais non, répondait mon père. Madame Hollenstein
n’avait pas tort tout à l’heure, dans la cave. Ce n’est pas une vraie guerre
pour le moment.
    — Ils vous ont arrêté ? demandait Nathalie.
    — Libéré aussi.
    Mon père s’écartait d’elle.
    — Jean Karenberg, vous le connaissiez ? reprenait
Nathalie. C’était un ami d’Alexandre, nous étions parents, cousins, vous le
connaissiez ?
    — Je le connaissais, murmurait mon père.
    J’avais joué avec les manettes de sa moto, près du port,
alors qu’il parlait avec mon père, tous deux accoudés à la balustrade au-dessus
des quais.
    Jean Karenberg rejetait ses cheveux en arrière, me souriait
quand il se retournait et à nouveau j’entendais :
    — Les procès, qu’est-ce que tu veux, les procès, si
c’est pour défendre la révolution, oui. Mais qu’est-ce qu’on en sait vraiment ?
    Qui parlait, de lui ou de mon père ?

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