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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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issu. Je
faisais taire cette femme qui s’appelait Denise, qui avait des regrets, des
jalousies, des désirs, et je la contraignais, en lui désobéissant, en me
penchant plus encore hors de la portière, à redevenir ma mère.
    — On va descendre, disait-elle, on va rentrer à pied.
    Violette arrêtait la voiture à la hauteur du Casino de la
Jetée.
    — Ces enfants, continuait ma mère, on n’est plus libre.
Tu n’en veux pas ?
    — Mon travail au studio, ce n’est pas facile, et Sam…
    — Vous ne vous mariez pas ?
    Violette embrassait ma mère sans répondre, elle se baissait
vers moi, je sentais contre ma joue la douce tiédeur de la fourrure. Souvent
elle cherchait mes doigts, y glissait quelques pièces. Mon père s’irritait :
    — Mais non, mais non…
    Ma mère, plus tard, disait :
    — Si elle peut, c’est sa tante. C’est pas un pourboire.
    Mon père lançait en niçois un mot violent avant de nous
laisser rentrer, seuls, dans l’appartement. Je me retournais. Il descendait
l’escalier qui conduisait à son atelier.
    Parce que la présence de Violette faisait naître ce conflit
entre mon père et ma mère, je craignais de la rencontrer, et pourtant, quand je
la voyais garer sa voiture noire aux roues cerclées de jaune dans la cour de l’Hôtel
Impérial, je courais vers elle comme vers une fenêtre ouverte.
     
    Depuis le début de la guerre je ne l’avais vue qu’une fois,
le lendemain de l’arrestation de mon père.
    Elle était assise en face de ma mère, dans notre salle à
manger, elle écoutait son monologue :
    — Ton frère, Dante, récitait ma mère, n’aurait jamais
dû se marier, ce n’est pas un homme pour une femme comme moi en tout cas, maintenant
avec les enfants…
    J’étais un obstacle, à quoi ? J’étais coupable, comme
mon père.
    Je sortais dans la cour, je faisais rouler, le long d’un
mur, une petite voiture, je m’enfuyais avec elle, je gagnais la zone des montagnes
par des routes sinueuses, je traversais d’un seul trait des déserts de pierre,
j’atteignais les rives de la mer et j’y enfouissais la voiture, plongeant ma
main dans l’eau boueuse d’une flaque.
    Violette m’avait surpris.
    — Ton papa, m’avait-elle dit, il faut que tu l’aimes tu
sais, il faut que tu lui écrives.
    Le soir j’ai commencé ma première lettre et j’en revois
aujourd’hui l’apparence, cette route que j’avais dessinée au milieu des montagnes,
tout en haut de la page arrachée au cahier, et la voiture qui s’y engageait,
avec, contre la marge, ces coups de crayon bleu, la mer.
    Je retrouve le violet des pleins et des déliés, les boucles
du R quand j’ai signé : Revelli Roland, accrochant ma plume. J’ai
cherché une enveloppe dans le tiroir du buffet et j’ai aperçu cette photo, mon père
tenant ma mère par la main, elle en robe blanche – peut-être était-ce le
jour de leur mariage ? – lui, dans son costume noir, le visage sans
une ride, un sourire que je ne lui avais jamais vu, et leurs doigts qui
s’entrecroisaient, leurs épaules qui se touchaient. Je n’ai pas refermé le
tiroir pour regagner plus vite ma chambre, y cacher cette photo avant que ma
mère ne me surprenne.
    Mais je ne pouvais rien lui dissimuler longtemps. Elle
savait d’instinct s’il y avait entre elle et moi un secret, elle m’agrippait
par la manche :
    — Qu’est-ce que tu as, Roland ?
    Je détournais la tête, mais ce seul mouvement était un aveu
déjà, et je ne résistais jamais à son inquiétude, à ses questions. J’avouais.
Une chute dans un jardin, la bagarre dans la cour de l’école, le croissant que
m’avait donné une femme des cuisines. Qu’importait alors pour moi sa colère,
j’aimais sa fierté.
    — Je suis une sorcière, Roland, disait-elle. Je sens,
je devine, tu sais. Tu ne peux rien me cacher.
    J’étais heureux qu’elle entre en moi. Sa victoire m’était
douce. Je subissais son interrogatoire, me dérobant à peine le temps qu’il fallait
pour aviver son désir de savoir et moi ma joie d’être forcé. Elle m’embrassait
enfin, remettait de l’ordre dans mes vêtements, défroissait ma chemise, me
coiffait.
    — Tu seras un bel homme, tu verras, disait-elle.
    Quand elle m’ignorait, j’allais vers elle. Je voulais
qu’elle sache que je dissimulais, que le moment des questions était venu.
    Après le repas de midi, elle s’allongeait dans sa chambre,
proche du lit de Christiane. Je m’approchais,

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