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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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J’étais près
d’eux, j’aimais voir mon père ainsi, grave, calme, le visage apaisé.
    — Après tout, s’ils étaient innocents, ils le
crieraient, non ?
    — Est-ce qu’on sait jamais ? Staline, en URSS, il
peut faire avec eux ce qu’il veut.
    — Vous savez que Jean a tenté de se suicider, ajoutait
Nathalie, après le pacte avec Hitler au début septembre. Alexandre est allé le
voir à l’hôpital militaire. Il allait mieux.
    — On s’est tous un peu suicidé, dit mon père.
    — Alexandre, disait Nathalie, n’a pas compris pourquoi,
ici, les communistes ont approuvé. Pourquoi ? Je n’ai d’ailleurs pas
compris non plus.
    — Y a rien à comprendre. (Mon père marchait plus vite.)
Les gens ont une idée, c’est leur idée. Ils se sont battus. On leur a craché
dessus pour ça, tapé sur la gueule. Les autres, ils ont tout. Ils ont même
raison. Alors qu’est-ce qui vous reste ? On garde son idée. Et puis,
est-ce qu’on sait les dessous ? Quand, à Munich, ils se sont tous mis
d’accord avec Hitler pour l’envoyer contre l’URSS, qui est-ce qui a protesté ?
Qui ?
    Mon père s’était redressé, nous arrivions devant l’entrée de
la cour.
    — Moi, dit-il, de toute façon, je me suis dégonflé.
    Nathalie s’arrêtait, je butais contre elle, elle prenait mon
poignet, le serrait.
    — Votre fils, disait-elle, c’est un chat sauvage. Venez
un dimanche à Saint-Paul. Je vois souvent Violette, votre sœur vous aime
beaucoup.
     
    Violette aussi vivait sur l’autre rive.
    Au moment des fêtes de Noël, alors que nous étions réunis
rue de la République, chez mon grand-père Vincente, elle entrait dans la
cuisine, allumait une cigarette, parlait comme les clientes de l’Hôtel
Impérial, portait comme elles une veste de fourrure.
    — Tu as vu, ta sœur, disait ma mère, c’est du renard
argenté.
    Violette offrait à mon grand-père un poste de T.S.F., puis
elle nous raccompagnait en voiture. Elle ouvrait les portières, elle
accomplissait ces gestes qui me paraissaient magiques, réservés à ceux qui
n’appartenaient pas à ma race.
    — Tu la conduis facilement ? demandait mon père.
    — Tu veux essayer ?
    Ma mère protestait.
    — Ne le laisse pas, il ne conduit jamais.
    J’aurais voulu que mon père prenne le volant, mais il
s’asseyait derrière, avec moi. Je m’appuyais sur le dossier du fauteuil, je
respirais le parfum de ma tante Violette, je suivais le mouvement des bracelets
quand elle changeait de vitesse, qu’elle disait :
    — C’est la voiture de Sam.
    — Hollenstein a aussi une traction, une 11 CV,
précisait mon père.
    Violette, comme Hollenstein, comme les directeurs, les
autres. Et pourtant elle avait vécu là, rue de la République, avec Dante et
Antoine Revelli, avec Vincente et Louise, et elle avait su traverser seule. Je
l’écoutais avidement.
    — Tu te souviens, disait ma mère, Haute Couture, quand tu venais me chercher, ce Russe, un prince, qui m’attendait toujours,
avec sa voiture.
    Je me rejetais en arrière. Certains mots ne devaient pas
être dits, comme il y a des portes qu’on n’ouvre pas.
    Ma mère se tournait vers moi.
    — Tu entends, Roland, un prince, avec une voiture, une
Delage je crois, décapotable. Il portait une grande casquette, comme un
Anglais.
    — Tu aurais dû monter, disait mon père.
    — Oui, j’aurais dû.
    Sauter, ouvrir la portière. Ne plus entendre.
    — Comment s’appelait celui avec la moto, reprenait ma
mère, il était dans le cinéma ; c’est lui qui t’a fait quitter les
Galeries ?
    — Philippe, disait Violette, Philippe Roux.
    — Tu le vois encore ?
    — Quand il passe à Nice. Il suit la guerre, un peu
partout, en Chine, en Éthiopie, en Espagne, là où elle est.
    — Je t’envie, disait ma mère.
    Mon père et moi nous étions au fond de la voiture, qui
longeait la Promenade. J’apercevais la coupole éclairée de l’Hôtel Impérial, les nervures du dôme du Casino de la Jetée, haubans de lumière tendus au-dessus
de la mer. Je baissais la glace, j’avais besoin que l’air entre, salubre, je
sortais le bras pour sentir la poussée de la vitesse, je me penchais.
    — Tu vas te faire arracher la main, criait ma mère,
remonte cette vitre.
    Je les obligeais à revenir à moi, à ensevelir à nouveau le
prince russe, la moto de Philippe Roux, la vie passée, ces émotions que je
n’avais pas fait naître, cette vie manquée dont je n’aurai pas été

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