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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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j’aimais les couleurs bleues du
couvre-lit, je m’agenouillais, les bras croisés sur l’oreiller, caressé par la
tiédeur blanche de la taie. Nous chuchotions pour ne pas réveiller Christiane,
je disais :
    — Maman, maman.
    Elle posait son livre, se soulevait un peu :
    — Quoi Roland ? Attention elle dort.
    La lumière d’été était si vive que ses longs éclats
rejaillissaient depuis la cour sur le plafond en traînées rousses et les volets
tirés ne maintenaient l’ombre qu’au ras du sol.
    — J’ai trouvé ça.
    Je tendais la photo qu’elle regardait à peine.
    — Tu fouilles partout, disait-elle. Remets-la à sa
place.
    Mais elle la tenait encore au-dessus de son visage.
    — C’est toi et papa ?
    — Tu vois bien.
    — Le jour du mariage ?
    Elle jetait la photo vers moi, reprenait le livre.
    — Un mariage comme ça, disait-elle un peu plus haut.
    — Il y avait Violette aussi ? Elle n’est pas mariée ?
    — Violette, elle est plus intelligente que ça.
    La voix avait changé, je me redressais.
    — Tu m’embêtes à la fin, disait-elle. Tu vas être en
retard.
     
    Je partais tôt pour l’école. Je zigzaguais entre les
façades, de l’ombre au soleil, je sautais par-dessus les bancs, je franchissais
les barrières métalliques entourant les pelouses pour fouler le gazon, violer
l’interdit, retrouver la peur d’être surpris, cette irritation, cette
démangeaison douloureuse qui semblait battre dans le sexe, lui donner vie, et
je recherchais cette émotion précoce, ce désir de poser ma paume entre mes
cuisses, d’écraser comme on presse une figue entre ses doigts cette grosseur
cachée qui me gênait.
    Ma mère me lavait dans la cuisine. Elle posait sur le sol
une bassine de zinc, elle m’y faisait asseoir, me frictionnait le cou, le dos,
le torse, puis elle me donnait le gant de toilette.
    — Ça, le reste, tu le fais tout seul.
    Elle s’éloignait, paraissait se désintéresser de moi qui me
recroquevillait dans l’eau savonneuse.
    — Tu le laves ? demandait-elle tout à coup.
    Enfin elle disait :
    — Lève-toi, tourne-toi.
    Il fallait cacher la face tubéreuse du corps, la différence,
alors que ma mère pouvait regarder, montrer le lisse bas-ventre de ma sœur.
    Par là j’appartenais à mon père, mais j’essayais de ne pas
voir notre ressemblance, ces pantalons qu’il reboutonnait lentement et j’avais
honte de lui, de ma curiosité, de notre identité. Car je savais.
    Je l’avais aperçu un matin, dans la cuisine, à demi nu.
Quand il m’a vu, il a noué sur ses reins une serviette.
    — Oh ! Roland, tu es déjà levé ?
    J’ai couru jusqu’à ma chambre, j’ai placé mon visage contre
le bois du cosy-corner, rouge ma honte, rouge ce souvenir, rouge comme un bloc
de viande sur le blanc du marbre.
    Ce devait être peu après que mon père ait été libéré, sans
doute le matin de notre départ pour Saint-Paul alors que l’idée de cette visite
à ma tante Violette m’avait réveillé. Nous nous installions dans la voiture de
Gustav Hollenstein.
    — Vous êtes trop gentil, monsieur, nous aurions pu,
avec le car, disait mon père.
    Katia Hollenstein assise devant, à côté de son mari, fumait,
soulevant de temps à autre les cheveux de sa nuque. J’étais entre mon père et
ma mère. Christiane somnolait sur les genoux de ma mère.
    — Votre sœur Violette, disait Gustav Hollenstein, c’est
une forte personnalité. Je l’aime beaucoup. Elle me fait penser à votre oncle,
Carlo Revelli.
    Sur le pont du Var, des gendarmes avaient établi un
contrôle. Ils ouvraient les portières, nous dévisageaient. « Pas de
permissionnaires ? » Je me retournais comme la voiture démarrait,
j’apercevais, encoches blanches dans la lumière intense de l’Est, les hauts
massifs de la frontière alpine sous la neige.
    — Tout cela est ridicule, disait Katia.
    Elle regardait ma mère, s’accoudait au siège, le menton sur
l’avant-bras.
    — Vous étiez vendeuse à Haute Couture, disait-elle. Vous vous souvenez nos premières présentations avec Violette ?
Nous ne savions même pas marcher devant les clientes avec nos robes longues.
    Elle riait. Par bribes, j’apprenais le passé, je découvrais
la trame, le croisement des vies, l’écart qui se creusait entre elles.
    — Alexandre devrait être en permission, disait
Hollenstein. Ma fille est très inquiète pour lui, il est sur la frontière, et
si l’Italie déclare la

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