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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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interpellait, criait parce que quelqu’un tentait d’entrer
dans le magasin. Elle me voyait, me prenait par le bras, me plaçait près
d’elle, glissait quelques pièces dans ma main :
    — Tu achètes un kilo, toi aussi.
    J’étais contre elle, je levais la tête et j’apercevais son
visage résolu.
    — Eh oui madame, c’est mon fils, lui aussi il mange du
sucre, non ? Il fait la queue comme moi, il a droit.
    Je la découvrais différente, forte, j’étais fier.
    Nous posions nos boites de sucre sur la table :
    — Tu as vu ? Je me suis débrouillée, il ne faut
pas se laisser faire.
    Mon père rentrait, la questionnait, mais elle ne répondait
pas, haussant seulement les épaules, la joie s’effaçant de son visage.
    Je gagnais la cour, je m’asseyais sur les marches des
cuisines, à côté des soldats, j’essayais un calot, je respirais l’odeur de
laine et de poussière des uniformes. Dans les rues, je guettais les signes nouveaux,
une tranchée prolongée dans un jardin, une affiche tricolore : Méfiez-vous,
taisez-vous. Si la parole est argent, le silence est d’or.
    J’attendais l’affichage des nouvelles devant L’Eclaireur et quand les badauds se regroupaient l’un d’eux prenant la parole :
    — Les Finlandais, moi je les connais, c’est pas les
Polonais, ils se laisseront pas faire, et ça, ça peut tout changer. Pour les
Russes, c’est fini la rigolade.
    J’étais au premier rang dans le cercle, suivant les mots de
l’un à l’autre, les mains qui ponctuaient les phrases.
    Je courais jusqu’au port voir, depuis les marches de
l’église, les vedettes lance-torpilles amarrées. Je m’approchais des marins. Je
traînais dans les rues, aux aguets jusqu’à la nuit.
     
    Les sirènes, un soir, ont fait éclater le silence, le ciel
où pointaient comme des reflets de lumière sur des fuselages les premières
étoiles.
    J’entrais dans la cour, ma mère courait, Christiane dans les
bras. Mon père ouvrait les portes des caves et nous nous asseyions sur des
planches dans les couloirs, Gustav Hollenstein éclairant nos visages avec une
torche, s’installant près de moi, appelant sa femme qui souriait, une cigarette
au coin de la bouche :
    — Une blague, disait-elle, cette guerre, c’est une
blague.
    — Tais-toi, Katia, murmurait Hollenstein, tais-toi.
    Elle riait.
    — Mais non, je ne me tairai pas, la France n’est pas un
pays pour la guerre, personne ne veut la faire.
    Une femme se levait :
    — Je remonte, disait-elle. J’étouffe ici.
    Je me glissais derrière elle, je répondais d’un mot au cri
de ma mère et je rejoignais dans la cour la fille de Gustav Hollenstein.
    — C’est toi, Roland ? me demandait Nathalie.
    Elle me prenait par la main et je marchais près d’elle dans
ce vide de la nuit inquiète. Sur la Promenade, le ressac, un coup de sifflet
lointain heurtaient le silence, rebondissaient sur lui, retombaient.
    — Tu n’aimes pas les caves ? Ta maman t’a appelé.
    Nous nous approchions de la balustrade au-dessus des galets,
la mer pailletée en face de nous, la ville dans notre dos, compacte et sombre.
    — Tu sais que nous sommes un peu parents ? Je
m’appelle Revelli, comme toi.
    Peut-être l’avais-je suivie pour cela. J’étais en quête de
Revelli glorieux, puissants. Et ma mère me les avait désignés, ces habitants de
l’autre rive.
    — Tiens, disait-elle à mon père, le fis de Carlo. C’est
ton cousin, Alexandre ? Depuis qu’il a épousé la fille de Hollenstein, il
n’est pas venu une fois te voir. À quoi ça servirait ? Il doit même avoir
honte.
    Nous étions face à l’entrée de l’hôtel, je voyais un couple :
elle un bébé dans les bras, lui, un officier de chasseurs alpins, parlait à
Katia Hollenstein.
    — Même pas élégantes, disait ma mère. Nathalie
s’habille comme une paysanne. Si j’avais ce qu’elle a.
     
    Mon père s’éloignait, rentrait seul dans la cour et nous
restions jusqu’à ce que Nathalie et Alexandre montent dans leur voiture.
    — Leur fils, il n’a pas de souci à se faire pour plus
tard. Toi, Roland, ne compte pas sur ton père.
    Je tentais donc, dès ce temps-là, d’atteindre l’autre rive.
    Mon père arrivait au moment où s’essoufflaient les sirènes
de la fin d’alerte, il essayait de saisir ma main.
    — Je t’ai cherché dans les caves, disait-il, maman
s’inquiète.
    Je me dégageais. Je craignais qu’il ne me retienne, qu’on ne
m’identifie à

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