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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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cigarettes dans sa paume,
de remercier.
    Je quittais l’atelier, mais je ne m’éloignais pas, je
m’installais dans l’ombre de la cave, assis sur une caisse, j’attendais.
    — Alors Revelli, reprenait Hollenstein, ces événements,
vous croyez que les Russes vont tenir, qu’est-ce que vous en pensez ? Vous
avez écouté Londres ?
    Mon père, parfois, fermait la porte de l’atelier et je
restais dans le silence, imaginant.
    Londres : l’un de ces mots de la guerre, une
fable à soi seul que je me répétais. Mais il en était d’autres.
    Les Allemands, disait Hollenstein…
    Je n’entendais plus rien, ils pénétraient dans les caves,
aux aguets, casqués, leurs manches retroussées, doigts crispés sur l’acier des
armes, tels qu’ils apparaissaient sur la couverture des magazines. J’avais
envie de lever les bras, de m’approcher d’eux, soldat qui se rend, mais
j’aurais jeté ma grenade comme un partisan, comme un juif du ghetto, casquette
d’homme sur visage d’enfant, manteau trop long battant les mollets nus, musette
dont la sangle serre les épaules.
    Juif, un mot qui couvrait les façades de certaines
boutiques. À bas les juifs. Il est imprimé à la première page des
journaux que j’ai sous les yeux. Je lis :
    Sus au métèque. Il choque la vue, il donne à Nice cette
allure de ville où tout peut se faire et l’on s’étonne qu’on tolère encore la
présence de ces parasites. Ces personnes émigrées ou expulsées de leur pays
constituent un danger pour la tranquillité et l’ordre public. À notre avis, on
pourrait beaucoup plus utilement les grouper dans des camps et les employer à
des travaux d’intérêt national.
    Monsieur Baudis se penchait vers ma mère assise près de lui
dans un fauteuil, sur la Promenade des Anglais.
    — Vous avez lu ce qu’écrit Le Petit Niçois à
propos des juifs ? disait-il. Ils ont soi-disant un statut, qu’attend-on
pour l’appliquer ?
    Il regardait sa femme, s’adressait à un ami, installé sur
une chaise longue.
    — On ne va plus pouvoir respirer ici cette odeur de
youpin.
    Il riait.
    Je courais jusqu’à la villa de Bernard. Je sifflais dans
l’espoir de le voir pousser les volets, mais il avait déménagé, quitté l’école.
    — Tu sais, les juifs, m’expliquait ma mère, avec eux on
ne sait rien ; il n’y a qu’entre eux qu’ils se soutiennent. Ils n’ont pas
tort. Hollenstein, le directeur, c’est un juif.
    Juif. Elle prononçait le mot avec mépris et respect. Je
regardais mon père.
    — Ton copain Bernard, disait-il. Il fait pas ce qu’il
veut en ce moment ; moi aussi j’ai des amis que je ne vois plus.
    Il partait vers l’atelier, je m’apprêtais à le rejoindre
mais ma mère m’agrippait.
    — Toi, reste là, disait-elle.
    Je le suivais des yeux par la fenêtre pendant qu’elle
marmonnait :
    — S’il n’en a pas assez fait, ça le regarde, mais s’il
arrive quelque chose, ce n’est pas moi qui le plaindrai.
    J’essayais alors de rassembler tous les indices et le
premier c’était l’expression de mon père, plus calme, plus grave, sans cette
crispation qui plissait tout le visage et le vieillissait. Il me semblait que
je reconnaissais l’homme d’avant, celui qui m’entraînait dans une ronde autour
de la table, chantait.
    Malgré les protestations de ma mère il avait descendu le
poste de T.S.F. à l’atelier. J’avais aimé qu’il ne cède pas et je ne m’étais
pas ligué contre lui, avec elles, ma mère, ma sœur.
    Je guettais ces silhouettes qui s’avançaient au centre de la
cour, hésitaient, puis se dirigeaient vers l’atelier. J’apercevais Antoine. Il
ne frappait pas à notre porte, repartait, un cageot sous le bras.
    Il y eut la visite de cet homme que ma mère refusait de
laisser entrer, elle avait à peine entrouvert la porte.
    — Je ne sais pas, répétait-elle.
    — Voyons, madame Revelli, vous me reconnaissez, Jean
Karenberg (moi, je le reconnaissais, maintenant), je venais rue de la République.
Je ne vous demande rien. Dites-moi simplement à quelle heure je peux voir votre
mari ?
    Elle faisait non de la tête.
    — Je ne sais pas, disait-elle encore.
    L’homme enlevait ses lunettes, les essuyait lentement.
    — Je réussirai à le rencontrer. Alors pourquoi ?
    Elle claquait la porte. Elle s’en prenait à moi parce que
j’étais près d’elle et qu’elle me heurtait.
    — Je les connais. Ils savent que ton père est un mou,
qu’il se laisse

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