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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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faire. Ils vont lui demander… et moi, je resterai avec vous.
Des égoïstes, mais…
    Je m’étonnais du ton nouveau de leurs disputes. Ils
parlaient à voix basse, la déformation de la bouche indiquant seule qu’ils voulaient
crier, mais qu’ils avaient peur que Christiane et moi, ou peut-être quelqu’un
dans la cour, les entende.
    — C’est comme ça, disait tout à coup mon père. Fais ce
que tu veux. Tu as tes parents, va là-bas.
    — J’irai, j’irai.
    Un soir, dans l’escalier, près des caves, j’ai reconnu
Rafaele Sori qui me clignait de l’œil.
    — Allez file, file, disait-il.
    J’avais atteint notre porte quand mon père me rejoignait, me
prenait par la main, m’entraînait vers la Promenade et nous nous dirigions vers
ces fines zébrures violettes qui, au-dessus de l’Estérel, marquent l’automne et
le soir.
    — Tu l’as vu, Rafaele ? (Il posait sa main sur ma
nuque.) Tu dis rien à maman. C’est la guerre, tu comprends ? Si on le
sait, on peut arrêter Rafaele.
    — Toi aussi ?
    — Moi aussi.
    — Elle veut qu’on t’arrête ?
    Il me rassurait en me tapotant l’épaule.
    — Tu parlerais à Christiane si tu savais où est ton
copain Bernard ?
    Nous étions face à face. Il me souleva, m’asseyant sur la
balustrade, le dos à la mer. J’étais ainsi plus grand que lui.
    — D’accord camarade ?
    Il me serra la main.
    Ainsi commença notre réconciliation, par la guerre, par un
mot de ce temps-là, camarade.
     
    Ma mère a vite perçu que j’avais cessé d’être son allié
inconditionnel. Je ne haussais plus les épaules en même temps qu’elle. Mon père
avait une façon de me dire « ça va Roland ? » qui ne la trompait
pas. Elle fit alors de Christiane sa complice. Je n’étais plus Roland son fils.
Elle disait :
    — Ton frère, il mangerait tout, ne le laisse pas faire,
c’est un égoïste, comme tous les hommes.
    Elle fermait les placards à clef et la faim me tenaillait.
    Je cherchais dans la ville le long des boulevards, au nord,
les caroubiers, et je mâchais lentement ces longs fruits bruns qui ressemblaient
à des fèves. Je sautais les barrières pour arracher des oranges maigres et
odorantes que je plaçais, humides, contre ma poitrine, sous ma chemise. En
classe, j’échangeais contre des livres que je volais à l’Hôtel Impérial dans les bibliothèques du salon aux colonnes, les biscuits vitaminés qu’on
distribuait après les récréations.
    J’avais faim parce que le litre d’huile valait mille francs
d’alors, que la région niçoise était pauvre, les transports difficiles.
    J’avais faim parce que je grandissais comme une plante
malade qui pousse en hauteur.
    La faim et la guerre m’apprenaient la rapine, la resquille,
le troc, la duplicité. J’apportais, après les avoir rapidement lus, les gros
volumes rouges à la tranche dorée que je n’osais pas montrer en classe, à un
vieux bouquiniste qui posait sa main sur ma cuisse avant de me tendre un
billet.
    Je cherchais dans les caves les bouteilles vides, qu’on me
payait quelques francs quand je les posais sur le comptoir des épiceries.
J’achetais des galettes noires qui donnaient soif, dont la croûte était sèche et
le cœur gluant. Je les mangeais seul, assis, face à l’Hôtel Impérial sur
la Promenade et c’est de là qu’un après-midi j’ai vu les voitures aux roues
jaunes s’arrêter devant l’entrée.
    Des hommes armés de gourdins prenaient place sur les marches ;
d’autres, qui sautaient d’une camionnette garée dans la rue perpendiculaire à
la Promenade, bondissaient dans l’hôtel, en criant : « À bas les
youpins, à bas les métèques. »
    La porte à tambour tournait sur elle-même, manège d’où surgissait
bientôt Gustav Hollenstein, les mains sur le visage ; les gourdins se
levaient, il glissait sur l’escalier de marbre, je voyais les pieds des hommes
armés dans leur mouvement saccadé que le corps de Hollenstein interrompait.
    Un vieux client que j’avais aperçu était projeté à son tour
dans la lumière dure du soleil, il hurlait « je suis un invalide de guerre »
et des coups de gourdin écrasaient les mots sur la bouche en une traînée rouge.
Une femme encore, jetée à terre, traînée sur le trottoir.
    Près de moi, le silence de quelques badauds groupés,
d’autres le visage tourné vers la mer restaient immobiles, la peur sur leur
nuque.
    J’ai traversé la chaussée, je me suis approché,

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