Nice
alors
toi…
Bons points, tableaux d’honneur, prix. Je jetais devant eux
mes trophées, mon tribut dont ils s’emparaient. Mon père me donnait une tape
sur la nuque.
— Bien, fils, bien, disait-il, tu te défends bien.
Ma mère, quand il était sorti, reprenait mes cahiers,
relisait les appréciations à l’encre rouge.
— Heureusement que tu es là, murmurait-elle, sans ça,
qu’est-ce que j’aurais.
Elle appelait Christiane :
— Toi aussi, ma fille, toi aussi, heureusement, mais
Roland, c’est un garçon tu comprends, un garçon.
Je les tenais à l’écart de l’école – et plus tard du
collège – je craignais, s’ils s’étaient approchés, lui en blouse grise,
elle qui aurait commencé à parler avec les mères, devant la cour, qu’on ne
m’identifie à eux, et je n’aurais plus su me battre, vaincre. Ils m’auraient
lié avec leurs défaites et je n’aurais plus rien pu pour eux, alors qu’ils
avaient besoin que je gagne. Il fallait que je leur donne cela pour qu’il leur
reste quelque chose de la vie. C’était ma tâche.
Cela, j’en parle clairement aujourd’hui, je démêle et
j’explique mes comportements d’alors, quand je n’étais que ce gamin auquel
l’instituteur lançait souvent : « Revelli, tais-toi donc, laisse un
peu répondre les autres », qu’il tirait sur mes cheveux dans la cour, pour
arrêter l’une de ces bagarres auxquelles j’étais toujours mêlé, me poussait
vers l’escalier : « Monte en classe, sors la carte d’Afrique. »
Je courais dans les couloirs, ma main glissait le long des
murs verts, j’ouvrais la boîte des cartes, j’accrochais l’Afrique au tableau,
je déchiffrais les villes, j’allais le long des fleuves vers des chutes et des
sources, Zambèze, Kilimandjaro, là le Nil était Bleu, la mer Rouge.
J’attendais, je regardais par la fenêtre, au-dessous des
feuilles mouvantes des platanes, la cour, les autres qui continuaient de courir,
leurs cris me paraissaient lointains et quand la cloche sonnait, que leur
piétinement m’annonçait qu’ils se mettaient en rang, j’étais seul au-dessus de
leur silence, à part.
Ils couraient dans les travées pour regagner leur place.
J’étais déjà assis à la mienne, prêt à répondre.
Un matin quelqu’un a levé la main en même temps que moi, le
nouveau que j’avais remarqué dans les rangs, qui pénétrait sur mon territoire
et que je craignais déjà avec sa longue écharpe rejetée dans le dos, ses
chaussettes à carreaux qui montaient jusqu’aux genoux et ses gants de cuir. Il
répondait avec les intonations de la puissance et ses vêtements en étaient déjà
les signes.
Nous – moi le fils de l’électricien de l’Hôtel
Impérial, Catto, celui du concierge de la rue d’Italie, Marcel dont la mère
était bonne, presque tous les autres – nous portions des vêtements marqués
par nos origines, par la guerre, écharpes tricotées avec des bouts de laine de
couleur différente, pantalons courts souvent rapiécés. Nos gants dépareillés,
nous les perdions et nous restions doigts nus, la peau rouge crevée par les
engelures.
Bernard Halphen avait des mains lisses, l’accent des clients
de l’Hôtel Impérial, ceux du Nord, de ces contrées que j’imaginais comme
celles des maîtres.
Depuis le début de l’année scolaire, trois nouveaux, qui
ressemblaient à Halphen, étaient arrivés dans notre classe. J’avais été dupe
quelques jours de leurs apparences. Ils connaissaient des mots que j’ignorais.
Ils restaient entre eux, parlant de rues inconnues. Ils eurent leurs courtisans
et leurs ennemis. J’attendais un tournoi. Calcul, dictée, rédaction,
récitation. Ils plièrent le genou.
Bernard Halphen ne s’inclina pas. Nous répondions d’une même
voix, nous terminions ensemble les opérations, je me tournais vers lui, il me
regardait, mordillant son crayon ou bien l’enfonçant dans ses cheveux noirs
frisés. L’instituteur nous plaça côte à côte. Je me suis d’abord à demi couché
sur le cahier, mon bras gauche l’entourant, pour qu’il ne copie pas et lui
aussi faisait de son avant-bras un écran, puis il l’a retiré, a poussé sa page
vers moi, au milieu du banc :
— Combien trouves-tu ? a-t-il murmuré.
Nous avons parcouru ensemble la ville. Il habitait Promenade
des Anglais, au-delà de l’Hôtel Impérial, une villa dissimulée par des
palmiers et des lauriers. J’entrais après lui dans les
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