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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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demi-litre.
     
    Quelquefois, c’était avec elle que je partais vers la
campagne de l’autre côté du Var.
    On nous prêtait des vélos, nous traversions le pont, le
soleil projetant nos ombres obliques sur le parapet, le vent froid glissant le
long des galets du fleuve, nous obligeant à baisser la tête, à pédaler en
danseuse comme si nous grimpions. Puis c’étaient les chemins de terre entre les
roseaux et les cultures maraîchères, au delà de Saint-Laurent-du-Var, les
maisons cubiques des paysans d’origine piémontaise, le crépi rose écaillé, un
palmier masquant parfois à demi la façade, les volets verts.
    Je gardais les vélos adossés à un muret de pierre, traçant
du bord de ma semelle des dessins dans la terre caillouteuse, cherchant à ne
pas entendre, à ne pas voir ma mère qui riait avec l’un des paysans, un homme
âgé déjà, qui lissait avec le pouce et l’index les coins de sa moustache
rousse. Mais leurs paroles et leurs visages alors qu’il me semblait ne jamais
écouter, ne jamais regarder, je ne les oubliais pas cependant que nous
rentrions, nos ombres devant nous sur le pont, poussés par la brise de mer et
nous filions le long du champ de courses, de l’aéroport désert, traversant le
quartier de la Californie, cette avancée sableuse et plate où s’élevaient, au
milieu des lauriers, des villas massives isolées.
    — Moi, avait dit le paysan, si j’avais une belle femme
comme vous, je la laisserais pas seule, parce que… Qu’est-ce que vous me donnez
pour ces légumes ? On échange ? L’argent aujourd’hui, mais vous avez
autre chose, non ? Vous le savez bien.
    Ce demi-pas de ma mère pour s’éloigner du paysan sans trop
s’écarter de lui, cette façon qu’elle avait de secouer la tête, de répondre :
    — Vendez-moi toujours quelques légumes, allez.
    Je la laissais vider le cabas sur la table, je sortais,
bousculant Christiane qui s’accrochait à moi, voulait jouer. Pour me dégager je
lui donnais un coup de pied, elle tombait, pleurait. Je criais « sale
menteuse, menteuse ». Je claquais la porte.
     
    L’école avait recommencé. Nous nous mettions en rang de part
et d’autre du mât blanc placé au milieu de la cour, entre les platanes. Il
m’arrivait souvent, parce que j’étais au premier rang, d’être désigné pour le
salut aux couleurs. Je tenais dans mes bras le tissu de lin tricolore qui
caressait ma peau, enveloppait mon visage au fur et à mesure que Bernard
Halphen, mon camarade, tirait sur le cordon blanc. Nous restions au
garde-à-vous au pied du mât, le drapeau se mêlant aux feuilles qui commençaient
à jaunir, nous chantions avec les autres :
     
    Maréchal nous voilà
    Devant loi, le sauveur de la France
    La Patrie renaîtra
    Tu nous as redonné l’espérance
    Maréchal, Maréchal nous voilà.
     
    Puis nous rentrions en classe, et je m’installais à mon
banc, face à la chaire du maître. J’attendais la question, je me dressais
alors, le bras tendu :
    — Moi, M’sieur, moi.
    À la fin, après avoir interrogé tous les autres, l’instituteur
m’autorisait à répondre, à compléter la phrase, à terminer la division et j’aimais
cette odeur de craie, de poussière humide, l’effritement de la barre sur
l’ardoise, le silence des élèves, parfois l’ordre du maître pendant que
j’écrivais au tableau :
    — Copiez sur vos cahiers… Continue Revelli, continue.
    Je m’étais séparé de mes camarades. Debout sur l’estrade,
près du maître, j’avais été distingué, honoré, moi, seulement moi, ni mère ni père
pour me retenir, je devenais un autre Revelli, différent d’eux, personne ici ne
pouvait me réduire à mes origines.
    La porte de la cour fermée, la classe commencée, j’entrais
dans la lice avec mes seules armes et les autres pouvaient être le fils du tailleur
de la rue de France ou du médecin de la Promenade qu’une bonne en tablier blanc
venait chercher à la sortie, j’étais avant eux, levant le premier le bras. Je
les vengeais, mes parents, ma mère de mon père, et lui d’elle, et je me
vengeais d’eux qui m’humiliaient chacun à leur manière. L’école, c’était aussi
le lieu où ils se rejoignaient, en moi.
    — Travaille bien, disait mon père. Moi si j’avais pu,
mais à cette époque, ingénieur, c’était…
    — Une femme, m’expliquait ma mère, à l’école, j’aurais
pu pourtant, l’institutrice voulait, mais mon père, il était comme ça,

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