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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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salons aux volets clos.
Les meubles recouverts de housses blanches semblaient de grands animaux
assoupis, et je chuchotais :
    — Tu habites là ?
    Une voix, au haut de l’escalier, qui répétait :
    — Qui est-ce ?
    Bernard répondait à sa mère que j’apercevais, tassée, un
châle sur ses épaules, des cheveux gris relevés en chignon. Elle caressait le
visage de Bernard en me regardant.
    — Vous êtes son ami ? Il vous aime beaucoup.
    Nous nous sommes assis autour d’une table de marbre dans une
cuisine au plafond haut, et la mère de Bernard devant la cuisinière, sous la
hotte de verre, paraissait encore plus petite, fragile, cependant qu’elle
préparait le thé. J’ai eu la certitude en la voyant ainsi de dos, maladroite,
appelant Bernard à son aide, qu’ils étaient menacés, plus pauvres que moi,
malgré l’accent des riches, leur villa, l’écharpe et les chaussettes à
carreaux. J’ai osé conduire Bernard dans la cour de l ’Hôtel Impérial. Mon
père remontait de l’atelier, s’essuyait les mains à sa blouse.
    — En classe, Roland, il s’en sort ? demandait-il.
    J’entraînais Bernard, nous courions le long de la grève,
nous nous accrochions aux poutrelles d’acier du Casino de la Jetée-Promenade,
nous allions jusqu’au port, nous aventurant sur les blocs de ciment, cubes gris
jetés en avant de la digue du phare. Je montrais les bureaux de l’entreprise
Carlo Revelli, je disais « c’est l’oncle de mon père, c’est le plus gros
entrepreneur », mais Bernard se désintéressait.
    — Mon père, commençait-il.
    Il s’interrompait, nous revenions vers la ville, par la rue
Saint-François-de-Paule, je rentrais dans la cour de la maison Merani,
j’expliquais, puis comme nous nous approchions de la place Masséna, nous les
entendîmes.
     
    Depuis, j’ai recherché la date. Je sais que c’est le 5
octobre 1940, que Bernard et moi avons vu, devant le Casino municipal, cette
foule d’hommes qui occupait la chaussée, le terre-plein central, leurs bérets
noirs, leurs drapeaux, le portrait de Pétain, ses couleurs pâles, rose de la
peau, marron délavé de l’uniforme, et tricolore presque estompé, accroché à la
façade. Des haut-parleurs, bouches rondes de part et d’autre du balcon, hurlent
des noms, Darnand, Merani, des phrases, révolution nationale, la
légion des combattants.
    Je me souviens de la chevalière aux initiales gravées que je
regardais à Gairaut.
    Sur la place, ils chantent la Marseillaise, un drapeau
monte, une voix crie : Maréchal nous voilà !
    Nous nous éloignons, nous courons dans les jardins,
rejoignant enfin le bruit de la mer, la Promenade.
    — Tu sais, dit Bernard, nous sommes juifs. Les
Allemands ont arrêté mon père à Paris. Nous, on est venus ici pour ça.
    J’ai répondu :
    — Mon père aussi, ils l’ont arrêté.
    Nous avons repris notre course, nous sommes descendus sur la
plage et ensemble nous avons lancé des galets qui dessinaient sur l’eau des
cercles qui se confondaient.
6
    La guerre m’a appris des mots. Aujourd’hui encore, alors
qu’elle n’est plus qu’un souvenir d’enfance que je reconstitue, il en est qui
sont comme des cicatrices neuves. La peau se tend autour. Il suffit de la page
d’un journal, papier gris des temps de restriction, l’encre déborde des
caractères, un titre noir : Le Petit Niçois ou L’Eclaireur de Nice et
du Sud-Est. Je déploie lentement le journal mais la pliure est trop
ancienne, elle est devenue coupure comme une plaie qui, au lieu de se refermer,
s’est ouverte, envenimée. Je lis pourtant ces lettres rongées : Les
Allemands ont pénétré profondément ce matin dans le territoire de la Russie
soviétique. Le Führer, dans une proclamation au peuple allemand… Déjà des
milliers de prisonniers…
    Gustav Hollenstein, ce journal à la main, avait traversé la
cour, interpellé ma mère :
    — Votre mari est à l’atelier ?
    Elle faisait un signe d’ignorance.
    — Les Allemands ont attaqué la Russie, continuait Hollenstein,
je descends le voir.
    Depuis, il avait pris l’habitude de retrouver mon père. Il
s’asseyait le dos à l’établi, il offrait une cigarette. Mon père la coupait en
deux.
    — Pour plus tard, disait-il.
    Hollenstein présentait à nouveau le paquet :
    — Prenez-en trois ou quatre, Revelli.
    Mon père hésitait et je n’aimais pas cette manière gauche
qu’il avait de saisir le paquet, de faire glisser les

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