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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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jardin, nous possédions nos tranchées, nos
pelouses, nous répétions nos rites.
    — Roland, me disait Julia, tu es un soldat de ma garde,
mon mousquetaire.
    Je marchais derrière elle, je touchais parfois ses anglaises
noires, et dans la tranchée, j’effleurais sa joue de mes lèvres.
    — Mets-toi à genoux !
    Elle me montrait la boue.
    — Obéis soldat, je suis la reine.
    Je m’agenouillais, je posais mon front contre ses cuisses,
je fermais les yeux, il me semblait que mes dents crissaient et que cette
irritation aiguë se prolongeait dans mon sexe ou venait de lui.
    — Tu obéiras toujours ?
    Elle plaçait sa paume sur ma tête. Je mordais mes joues,
j’enfonçais mes genoux dans la boue avec le désir de heurter une pierre, pour
me faire mal, lui donner une preuve de ma soumission, me punir d’avoir vu
Catto, la main fermée sur son sexe brun, courbé vers lui, d’avoir suivi le
mouvement de son poignet :
    — Tape-toi une queue aussi, disait-il. Allez Revelli,
le premier qui jute.
    J’apercevais sa langue dont il caressait sa lèvre
supérieure.
    J’avais laissé Catto mais quand je m’allongeais le soir, mes
jambes contre le bois du cosy-corner, que ma mère avait fermé la porte, que je
n’entendais plus que l’eau du robinet dans la cuisine, mon père qui peut-être
allait ressortir, et j’écouterais son pas dans la cour, jusqu’à l’escalier de
l’atelier, alors ma main dans le silence devenait une forme imprécise et
tendre, qui faisait naître de mon corps un autre corps. Il s’allongeait contre
le mien, il avait la souplesse, l’obéissance de l’oreiller que je glissais
contre ma poitrine, le bas de mon ventre, frais d’abord comme une joue ou des
cuisses, tiède, humide bientôt et ma main poisseuse tentait de dissimuler la
trace de cette fable que je venais de vivre et qui se terminait tout à coup, ma
main à nouveau faite de doigts, seulement de doigts, mon corps limité à lui
seul, l’autre dissipé, n’ayant laissé que cette tache un peu grise sur la taie.
    — Oui, Reine, je t’obéirai, toujours.
    J’élevais les mains vers sa poitrine, le visage entre ses
genoux, les miens dans la boue de la tranchée. Julia dirigeait mes doigts, puis
les écartait au moment où je touchais cette chaleur douce qui naît des seins.
    Nous ressortions de la tranchée parce que Catto ou Monique
ou Danielle s’étaient penchés, avaient crié nos noms et nous n’avions pas le temps
d’affronter leurs regards.
    Les autres, ceux du Babazouk ou de Magnan, lançaient déjà
leurs pierres. Soldats nous nous précipitions, fauteuils levés à la hauteur de
visage pour protéger les dents, les yeux. L’affrontement cessait et ne
restaient face à face que deux gosses qui se défiaient, parce que les autres,
les filles, les entouraient.
    J’étais l’un de ces combattants en qui s’incarnaient les
oppositions du quartier, d’école et de fortune. Magnan, le Babazouk, la Madeleine,
c’était les pauvres. La rue de France, la Promenade, les riches, et j’étais
parmi eux, mercenaire.
    Julia était la fille de l’avocat Lamberti, Monique celle du
pharmacien Goursonnet, Danielle, d’un sous-directeur de banque, Paul, d’un
ancien consul de France au Venezuela, Julien, d’un photographe. Catto seul
appartenait à ma tribu, fils de concierge et lui aussi traître parce que
habitant les beaux quartiers. Mais il n’était parmi nous avec son corps trapu
qu’un domestique. Il ne descendait jamais dans la tranchée avec les filles. Il
était le bon esclave noir.
    Moi, je servais la reine, j’étais cadet de Gascogne, pauvre
mais noble, je n’avais peur ni de Richelieu ni de ses gardes. Je me battais
donc pour qu’on me reconnaisse, j’avançais vers l’autre, « le mal élevé »
comme disait Julia, et je reconnaissais son pull-over qui ressemblait au mien.
J’imaginais, en regardant ses sandales à semelles de bois, un père qui, comme
le mien, en clouait sur le bord d’un établi, avec des pointes redressées
soigneusement, les lanières déchirées.
    — Qu’est-ce que t’attends, me disait-il en me défiant,
t’as peur ?
    La guerre m’apprenait que tous les coups sont permis. Sans
un mot je lançais mon poing le premier en plein visage, je poussais du pied, je
cognais du crâne, nous roulions dans les graviers, je frappais cette poitrine
qui portait mes couleurs, je serrais à la gorge.
    — Rends-toi.
    Les filles s’approchaient de nous, regardaient

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