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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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l’ennemi que
je tenais sous moi :
    — Laisse-le, disait Julia.
    Je l’abandonnais.
    Il essuyait sa bouche du revers de la main, enlevait la
poussière de son pull-over. Il crachait vers-nous, partait en traînant ses
sandales et malgré Julia qui prenait ma main, qui appelait les autres : « On
joue à la cour, disait-elle, Roland, c’est le chef de mes gardes » je me
sentais vaincu comme lui, honteux de mes sandales à semelles de bois que je
dissimulais, en repliant mes jambes sous le banc où nous nous asseyions, moi au
centre, Julia près de moi.
    J’avais combattu pour elle, vaincu, j’avais droit à ses
confidences, à sa complicité. Elle se penchait, ses anglaises frôlant ma joue,
elle riait avant même de commencer à parler, elle murmurait dans mon oreille :
    — Tu as vu Catto ? (elle pouffait). Je te dirai
après.
    Catto était assis devant nous, à même le sol. J’essayais
avec inquiétude de deviner ce qui la faisait rire, de trouver ce signe dont j’étais
peut-être marqué aussi, afin de l’effacer, vite. Julia m’entraînait en me
tirant par le bras :
    — Tu n’as pas vu, sa chemise ? Elle n’est pas à
lui, il y a des initiales brodées, H et I , on a dû la lui donner.
Nous, on donne souvent nos vieux vêtements au gardien. Ils ont une fille, elle
porte toutes mes robes.
    J’essayais de sourire. Je me sentais sale, vulnérable,
ridicule.
    — À demain, Roland.
    Elle levait la main, courait vers la rue où son père ou sa
mère l’attendait. Elle se retournait encore pour un geste, s’éloignait vers une
contrée inaccessible où j’aurais tant voulu naître ou seulement pouvoir la
suivre, mais j’étais changé en pierre par le regard de ses parents qui avaient
dû percer mes origines, reconnaître les brins de laine mis bout à bout de mon
écharpe, mes sandales clouées.
    Les autres aussi étaient partis, seul Catto me cherchait,
lui qu’il fallait que j’évite parce qu’à nous voir côte à côte on aurait
reconnu notre commune servitude.
    Il m’appelait pourtant, sifflait. Je me dissimulais, je
courais dans le jardin vide où la pénombre glissait des arbres jusqu’aux
massifs et aux pelouses, enveloppait dans la même étoffe grise les palmiers et
les lauriers.
    Détruits les palais royaux, enfuie la reine, mais je m’étais
jeté avec tant de force et de désir dans le jeu, que je tentais de le continuer
encore, imaginant des embuscades, des missions, et parfois, alors que je
rentrais seul, la bande ennemie m’entourait, me poussait contre un mur, martelait
mon visage de coups et j’étais motte de terre avec le désir de mourir là, au
centre de la fable.
    Demain Julia aurait aperçu ce corps recouvert d’une cape, le
mien.
    Mais une femme passait et la bande s’égaillait, me laissant
à peine meurtri.
    — Tu habites où ? demandait la femme.
    Je montrais l’hôtel, je rentrais, j’apercevais ma mère dans
la cuisine en train de laver, les flaques d’eau sur les tommettes, la blouse de
mon père qui séchait.
    Je me jetais sur le lit, j’entrais dans un autre palais, je
devenais Edmond Dantès ou Athos. Je lisais. Je m’étais emparé de quelques
livres de mon père, je lisais ceux de l’hôtel avant de les vendre, j’avais La
fièvre de l’Or, je subissais la loi du Talon de Fer, le monde je le
parcourais en 80 jours. J’étais Martin Eden.
    — Viens manger Roland, criait ma mère.
     
    Je réussissais certains soirs à ne pas entendre leurs voix,
à dissimuler sous les mots de mes livres les heures passées chez moi. Je
retrouvais le jardin, Julia, les jeux comme si j’avais dormi devant la porte de
la Reine.
    Et quand le milicien plaçait le canon de son arme sur ma
nuque, qu’il disait : « Je suis le caporal Raoul ! » je n’avais
ni courage ni peur, la fable continuait. J’interprétais mon rôle, je guettais
sur le visage de Julia ou de Monique, de Paul et même de Catto, l’émotion que
je faisais naître en refusant de crier comme le caporal Raoul me le demandait :
« Vive la Milice ! »
    — Alors je t’exécute ? Je l’exécute ?
interrogeait-il.
    J’ignorais si la pièce comportait cette fin, si le rideau
tombait sur ma mort héroïque, mais je savais qu’il fallait que je reste
immobile puisque j’étais en joue, en jeu.
    — Ça va, t’es courageux.
    Le milicien riait, me renvoyait vers les autres, appuyait
sur la détente pour montrer que le pistolet n’était pas chargé.
    Les filles

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