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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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criait :
    — Il n’y a rien, qu’est-ce que vous croyez ? Il
n’y a rien au marché, trois cents grammes de pain, voilà ce que j’ai.
    J’avançais la main, elle la frappait.
    — Tu attendras, comme nous.
    Elle ouvrait le robinet pour que l’eau devienne fraîche,
puis elle fermait les volets.
    — Cette chaleur, disait-elle, je ne peux plus.
    Elle vivait dans la pénombre jusqu’au soir.
    Moi, j’avais besoin de l’incandescence de l’été. Ma mère,
allongée à même les tommettes fraîches dans sa chambre, racontait à Christiane,
sa confidente, un épisode de sa vie, ce prince russe encore qui l’attendait
devant Haute Couture.
    — Ne sois pas idiote comme moi, disait-elle.
    J’ouvrais silencieusement la porte palière, je bondissais.
    — Roland, Roland, criait-elle.
    Peu m’importait maintenant. À moi les marches, les couloirs.
Ma mère m’appelait encore, claquait la porte de colère. J’avais l’avenue devant
moi, la place lavée par le soleil.
    Souvent ce n’était qu’une feinte. Je remontais jusqu’aux mansardes.
Je forçais l’une d’elles et par la tabatière je gagnais les toits. J’étais
au-dessus de la ville rouge. Je m’installais entre deux cheminées : du
Mont Alban à l’Estérel la scène s’ouvrait. Superstructures des navires anglais
à l’horizon de la baie, chasseurs qui tombaient sur le port et reparaissaient
vers la Promenade alors qu’éclataient les obus de la D.C.A., coups de feu qui
semblaient rebondir de toit en toit, et un matin d’août le vol groupé des
bombardiers vers les plages du débarquement.
    La chaleur de cet été-là, jamais je n’en ai subi d’aussi
forte. Les tuiles étaient brûlantes. Je m’allongeais avec la peur de glisser
alors que le toit n’avait qu’une faible pente mais j’imaginais que j’allais
être entraîné jusqu’à la gouttière et que seules les branches d’arbre
arrêteraient ma chute. Je me mettais sur le dos, je ne voyais que le ciel, je
m’efforçais de fixer un instant le soleil, de m’y brûler. Je m’aveuglais et
paupières fermées enfin j’attendais que naissent les insectes dorés, taches sur
ma rétine, mouvantes. Je voulais que la chaleur me caresse et me pénètre. Je me
déshabillais, je suivais la respiration de cette peau plissée, rose et veinée,
de cette chair collée à moi qui se gonflait comme un poulpe et que j’avais envie
de couvrir de ma main pour en éprouver la présence, la tiédeur humide.
J’embrasssais mon bras, mes doigts, ma peau brune et je me courbais comme si
j’avais pu poser ma tête entre mes cuisses.
    Je restais là parfois jusqu’à la nuit quand la chaleur
n’était plus que celle des tuiles. Je sautais dans la mansarde, je retrouvais
la touffeur close et dans l’appartement les cris de ma mère.
    — Où étais-tu ? Tu m’as bien déçu, Roland, tu es
pire que ton père, pire, parce que lui, mais toi.
    Peut-être la fin de la journée ou la tristesse vraie de ma
mère ou bien cette insatisfaction qui me restait, irritation de ma peau, désespoir
de ne presser contre moi la nuit qu’un oreiller mort, de ne connaître encore
que la moiteur solaire et non celle des aisselles ou des cuisses, mais j’avais
alors envie de me jeter dans un grand cri, vers les cimes des platanes,
d’ouvrir mes bras comme un plongeur.
     
    La guerre me sauvait de ces désespoirs violents. Les sirènes
rasaient la ville assoupie. J’ouvrais les volets, j’attendais le pointillé des
balles traçantes, j’espérais la gerbe flamboyante d’une bombe qui eût frappé à
quelques mètres, ou bien l’avion qui se serait écrasé devant moi, sur la place
et j’aurais couru avant l’ennemi vers l’équipage. Je guettais le ronronnement
régulier de l’avion isolé, l’avion fantôme qui chaque nuit survolait la ville,
lâchait quelques petites bombes.
    Nous descendions dans les caves, ma mère jouait à la belote
avec d’autres locataires, Christiane dormait. J’explorais les couloirs, je me
heurtais à des ombres, voisins qui, une couverture sur les épaules, attendaient
la fin de l’alerte.
    Une nuit, je me suis trouvé assis près d’une femme. Elle
avait posé la tête sur ses genoux, les bras noués autour de ses jambes et je ne
voyais que la fente entre le mollet et la cuisse. La lampe à acétylène sur la
table des joueurs de cartes n’éclairait qu’à peine la partie de la cave où je
me trouvais. J’ai avancé la main, effleuré il me semble la

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