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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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souvenir, ce film qu’on tournait de mes
feux d’artifice quand je voyais brûler le roi et que la foule nous entourait
aussi, mon père et moi. Je le cherchais ici, sur ce plateau aux dimensions d’un
boulevard, dans ce décor qui était une ville, et quand, le soir, nous
redescendions à Nice, après avoir touché notre cachet, la place Masséna, les
façades roses, les volets verts, les platanes me semblaient aussi factices,
aussi vrais que ceux des studios de la Victorine. Les rues étaient toutes
devenues des boulevards du crime.
     
    Rue de la République un jour de mai. L’alerte a été longue.
Nous chuchotions dans les caves de l’école et les déflagrations sourdes
faisaient trembler le sol. J’avais hâte de sortir. Quand j’ai retrouvé les
platanes de l’avenue, il m’a semblé que l’air était chargé de poussière et de
fumée. Des secouristes se groupaient.
    — C’est Saint-Roch qui a pris, criaient-ils, Riquier.
    J’ai couru derrière eux vers la place Masséna, puis l’alerte
encore nous a collés contre les façades et à nouveau le tremblement de l’air,
le roulement auquel succède le vide du silence. Coups de sifflet des agents
pendant que je traverse la chaussée. Ma mère et Christiane sont réfugiées dans
l’une des caves de l’immeuble. Je m’avance jusqu’à l’entrée, je les devine, je
crie : « Je vais voir ! »
    Voir. Courir vers les bruits, les fumées. Des barrages place
Garibaldi. La rue de la République avec seulement quelques figurants en
costume, policiers, infirmiers, pompiers. Des cris, des hommes qui franchissent
les cordons de police, je cours avec eux, vers les gravats, les brancards, la
maison de Louise et de mon grand-père Vincente. La façade vue de loin est intacte
mais la bombe est tombée dans la cour où j’ai si souvent joué, et la maison est
évidée comme un décor fait d’apparence.
    Je ne voulais pas voir ce qui me concernait. Je répétais,
ils sont morts, tout en marchant vers Riquier, en sautant les murs éboulés, les
câbles électriques, serpents brûlés sur le sol défoncé.
    J’ai vu sur les brancards, avant qu’on pose la couverture,
les hommes gonflés, visage rose, mannequins bourrés de sciure que s’envoient
les bateleurs.
    Lucien semblait devoir mourir et c’est Louise et Vincente
qui sont couchés côte à côte dans la chapelle de l’hôpital. Ruses. Nous sommes
tous là, les Revelli, Lily, Carlo, Anna, Violette, Antoine, Giovanna, Edmond,
ma mère, Christiane, Alexandre et Bernard qui partage notre nom et notre deuil.
     
    Je m’en veux aujourd’hui de mon indifférence d’alors.
Peut-être trop de cris autour de nous, des femmes à genoux, la mort à la première
page du journal : 284 morts, 100 disparus, 6 000 sinistrés.
    Je sors de la chapelle, je regarde la ville, les voies
ferrées, main noire ouverte où est tracée la ligne du destin. Les bombardiers
se sont trompés de cibles. Les quartiers au lieu de la gare. Le vélodrome
confondu avec la rotonde de triage. J’écoute les parents éloignés expliquer la
guerre, le sort, leur chance.
    Ma mère m’appelle, nous marchons. Elle parle, elle parle :
    — Ton père qui n’est même pas là pour la mort de son
père, de sa sœur, une honte ; à sa place j’aurais des remords toute ma
vie. Mais au fond, tu as vu ta tante Violette, et Carlo, pas une larme, j’étais
plus émue qu’eux.
    Je me tais, je suis une terre sèche. Comment pourrais-je
parler ou pleurer ? Je ne connais pas encore le cours souterrain du
désespoir, ses méandres sous la roche blanche. Je ne sais rien des résurgences
inattendues, si loin du jour, du lieu où la mort est tombée.
    Et le deuil m’a ainsi noyé plus tard, quelques pommes de
terre posées sur une table, et ma femme les poussait vers moi.
    — Avec du sel, disait-elle, bouillies, tu n’aimes pas ?
    C’était à des années de leur mort, dans une cabane de
berger.
    Nous avions marché depuis le matin, franchissant les cols où
le vent tout à coup se lève, glace la sueur. Dans la vallée, la pluie avait commencé
à tomber et nous avions couru jusqu’au bord de ce lac où sans doute les moutons
venaient boire. J’avais forcé la porte de la cabane. Jeanne, pendant que
j’allumais le feu, découvrait dans un chaudron de cuivre ces pommes de terre. « Avec
du sel… » commençait-elle.
    Le deuil, si loin du jour de mai 44.
    J’ai pleuré longuement mon grand-père Vincente, ma tante
Louise que

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