Noir Tango
de son amant. Abandonnant à
Françoise et à Ruth la surveillance des confitures qu’elles faisaient depuis le
matin, elle avait couru s’enfermer dans le bureau de son père pour lire tranquillement
sa lettre.
La seule !… elle était la seule avec
laquelle il voudrait vivre, avoir des enfants !… « Moi aussi, j’aimerais
vivre avec lui », pensa-t-elle. Un sentiment de bonheur, de paix l’envahit :
c’était la première fois qu’elle se disait cela. Elle éclata de rire. Pourquoi
avait-elle attendu si longtemps pour se l’avouer ?… La réponse lui vint
immédiatement : « J’ai peur qu’il ne me fasse souffrir ! » à cette pensée, son corps se couvrit de
nouveau de sueur. « Je suis folle de me mettre dans un état pareil parce
que l’homme que j’aime – oh oui, comme elle l’aimait, comme c’était
bon enfin de le reconnaître – me déclare son amour ! » Elle
rit encore, cependant l’inquiétude demeurait. Léa relut la lettre… Puisqu’il le
demandait, elle recevrait Sarah, serait tendre et affectueuse. À eux deux, ils
l’aideraient à surmonter son chagrin, la feraient renoncer à ses idées de
vengeance. Vite, téléphoner à Laure pour lui dire que Montillac les attendait
tous les trois… Mais pourquoi écrivait-il : « L’avenir peut nous
réserver des surprises, ne pas être celui dont nous aurions rêvé… » ?
Il y avait comme une menace dans ces mots… Puisqu’ils s’aimaient, l’avenir
serait merveilleux… « L’avenir peut nous réserver des surprises… » Quelles
surprises ?… Que voulait-il dire par là ?… Léa porta ses mains à ses
tempes pour arrêter ce battement… ferma les yeux… les rouvrit aussitôt… Derrière
ses paupières closes, l’espace d’un instant, elle avait vu Sarah lui tendant
son enfant mort… Sarah qui riait et la regardait d’un air terrible…
Léa se réfugia sur le vieux canapé de son
père et, recroquevillée sur elle-même, se mit à trembler. L’odeur de la sueur
froide, qui sourdait de son corps grelottant, lui donnait la nausée. « Il
faut que je me calme… je dois me calmer… Maman… Camille… j’ai peur, si vous
saviez comme j’ai peur… » Le souvenir apaisant des mains de sa mère et de
celles de Camille sur son front, quand les mauvais rêves venaient hanter ses
nuits, peu à peu la rasséréna. Elle se releva péniblement, la bouche amère. Le
miroir de la salle de bains lui renvoya le reflet d’une noyée. Avec rage, elle
retira ses vêtements et se jeta sous la douche. Ah, se laver de tous ces
souvenirs, de toutes ces images, ne penser qu’à la joie d’être vivante, d’avoir
un corps fait pour le plaisir !… Ce plaisir que François savait si bien
lui dispenser. Retrouver enfin ce bonheur d’être soudée l’un à l’autre… L’avenir,
avec lui, ne pouvait être fait que de bonnes surprises, c’était cela qu’il
avait voulu dire. Ensemble, ils redonneraient à Sarah le goût de vivre ; ils
sauraient l’entourer de toute leur tendresse ; leur amour ne pouvait qu’être
bénéfique à tous. Tous ceux qu’elle aimait, Léa les voulait heureux autour d’elle.
La guerre était finie, le temps de la paix et du bonheur était revenu.
C’est en chantant qu’elle sortit de la
douche, s’essuya, se regarda avec complaisance dans la haute glace de la salle
de bains, se parfuma et s’habilla d’une légère robe de toile.
Des rires et des
exclamations joyeuses provenant de la terrasse la firent descendre en courant
le long des charmilles ; ce n’était pourtant pas l’heure de l’apéritif du
soir, mais celle précédant le déjeuner. À l’ombre de la glycine, Alain Lebrun
débouchait une bouteille de champagne en compagnie d’Albertine, de Lisa, de
Françoise et de Ruth encore enveloppées de leurs tabliers de cuisinière.
— Que se passe-t-il donc ? Que
fêtez-vous sans moi ?
— Charles et Pierre sont partis te
chercher, dit Françoise avec un sourire taquin.
— Je ne les ai pas vus. Me dira-t-on
enfin ce qui se passe ?
— Françoise… commença Lisa en pouffant
derrière sa main.
— Quoi, Françoise ?
— … vient de nous annoncer, continua Albertine
en s’arrêtant pour essuyer les larmes qui coulaient de ses yeux.
— Tu pleures ! Est-il arrivé
quelque chose ?
— Non… enfin oui, mademoiselle Léa, dit
Alain en faisant sauter le bouchon.
— Allez-vous me dire… Oh, je crois
comprendre !… vous et
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