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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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d’amour. De cet amour pour son Dieu, pour
les hommes qu’il essayait de transmettre à Léa. Léa n’était pas insensible à
son discours passionné qui, par moments, lui rappelait ceux que tenait son
oncle Adrien. Mais où tout cela l’avait-il mené, son onde Adrien avec sa foi en
Dieu, en l’homme ?… En enfer, si l’enfer existait…
    — Je réfléchirai à vos paroles, mon
père, j’essaierai de me souvenir que la vengeance passe par l’amour.
    « Se venger en aimant, pensa-t-elle, il
faudra que j’en parle à Sarah. »
    Ils rentrèrent en silence sur Montillac en
passant par le calvaire dominant la campagne tandis que le soleil disparaissait
dans un ultime rayonnement.

19.
    Allongée sur un transat du Cabo de Buena
Esperanza, recouverte d’un plaid, Léa se remémorait ses derniers jours
passés en France : le dîner à Montillac la veille de son départ avec la
famille, Jean Lefèvre, sa mère et le père Henri. D’un accord tacite, on avait
parlé de choses sans importance. Léa s’était montrée gaie et affectueuse envers
tous. Sur le point de les quitter, elle mesurait combien elle les aimait et
combien ils allaient lui manquer. Quand tous furent partis ou couchés, elle
avait fait le tour de la vieille maison, était descendue sur la terrasse pour
un ultime adieu. à chaque moment
important de sa vie, à chaque départ comme à chaque retour, c’était sur cette
terrasse, face au paysage paisible de vignes, de bois et de prés qu’elle
puisait force et détermination. Une nouvelle fois, elle avait une impression de
déchirement, de départ sans retour. Vers où allait-elle ? Elle n’en savait
rien, elle pressentait seulement de nouvelles souffrances.
    De son bref séjour
à Paris, elle-gardait un souvenir désordonné. La présence quotidienne de Franck,
qui ne se remettait pas de la mort de Laure, leurs sorties, les films qu’ils
avaient vus, les boutiques qu’ils avaient faites avec l’argent de François, tout
cela était confus comme son voyage jusqu’à Gênes pour prendre le bateau en
compagnie de Daniel Zederman et d’Amos Dayan. Sur le navire, ils s’étaient
séparés, les deux jeunes gens voyageant en deuxième classe, ce dont Léa avait
été soulagée tant elle avait envie d’être seule. L’escale de Barcelone lui
avait permis d’admirer les jardins de Gaudi, de se promener dans les ruelles de
la ville et d’écouter des flamencos dans une boîte du port avec Daniel. À Lisbonne,
elle était restée à bord, fiévreuse et migraineuse. Invitée, un soir, à la
table du capitaine, elle avait fait la connaissance d’un Hollandais d’Amsterdam
d’une trentaine d’années, bel homme malgré une certaine froideur, voyageant
pour ses affaires, Rik Vanderveen. Il parlait un français remarquable avec une
pointe d’accent, se disait collectionneur d’art, grand amateur de peinture
surréaliste, entretenant une correspondance suivie avec André Breton, Marcel
Duchamp et Salvador Dali qu’il avait rencontrés chez Lise Deharme, femme
ravissante et cultivée qui tenait salon près des Invalides. Ces conversations
sur l’art et la littérature lui rappelaient celles du cher Raphaël Mahl. D’abord,
ils s’étaient rejoints tous les soirs au bar à l’heure de l’apéritif pour
prendre un verre, puis après le dîner, pour finir par se retrouver côte à côte
à la même table avec pour compagnons deux messieurs frôlant la cinquantaine qui
ne parlaient qu’anglais avec un détestable accent.
    Un jour qu’elle était arrivée en retard pour
déjeuner et qu’ils ne l’avaient pas vue arriver, elle les avait surpris tous
les trois parlant allemand à voix basse : cela lui avait causé un bref
malaise. Très vite le séduisant Hollandais était devenu le chevalier servant de
Léa. Il lui faisait une cour discrète à laquelle elle n’était pas insensible. Une
chose l’agaçait cependant, c’était sa curiosité à son égard : d’où
venait-elle ? Que faisaient ses parents ? Avait-elle des frères et
sœurs ? Était-elle fiancée ? Qu’allait-elle faire en Argentine ?
Chez qui descendait-elle ? Combien de temps comptait-elle rester en
Amérique du Sud ? Avait-elle des amis à Buenos Aires ? Par jeu, plus
que par méfiance, Léa s’était inventée une famille, une vie de jeune fille
insouciante et sans problèmes. La seule chose sur laquelle elle dit la vérité, c’était
l’invitation de Victoria Ocampo, mais sans entrer dans le

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