Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
Vom Netzwerk:
marier ?
    Ça le reprenait, elle n’avait pas pensé à
cela. Pour lui, ce qui venait de se passer équivalait à une acceptation de
mariage. Comment lui faire comprendre qu’il n’en était rien et que seule une
trop grande solitude l’avait jetée dans ses bras ? Le lui dire, c’était le
blesser à jamais. Comment sortir de cette équivoque sans dégâts ?
    — Je te l’ai déjà dit, je n’ai pas
envie de me marier.
    — Mais toutes les femmes ont envie de
se marier !
    — Peut-être, mais pas moi.
    — Comment, après ce qui s’est passé
entre nous…
    — Eh bien quoi, il s’est passé quelque
chose de très naturel entre une femme et un homme, pas de quoi en faire tout un
plat !
    Jean baissa la tête, rougissant.
    — Allez, regarde-moi, n’importe quelle
femme serait heureuse de t’épouser. Tu rencontreras bientôt une gentille fille…
    — Tais-toi ! c’est toi que j’aime
et personne d’autre. Je t’aime depuis mon enfance, depuis mon enfance je rêve
de t’épouser…
    — Ce sont des rêves d’enfant. Raoul
aussi, quand il avait dix ans, rêvait de m’épouser.
    — Si tu avais choisi Raoul, je l’aurais
accepté, j’aurais été très malheureux, mais je l’aurais accepté ; avec lui
tu aurais été heureuse.
    — Sans doute, mais lui non plus je ne l’aimais
pas… Voilà, c’est dit, je ne t’aime pas… je t’aime bien, je t’aime comme un
frère, énormément, mais pas au point de t’épouser.
    — Tu aimes toujours ce Tavernier ?
    — Ce Tavernier comme tu dis, oui, je l’aime…
    — Tu continues à l’aimer malgré son
mariage ?
    — Cela me regarde. Si tu veux que nous
restions amis, ne me parle plus de lui… Laisse-moi, il est tard, je voudrais
dormir.
    La mort dans l’âme, Jean Lefèvre s’en alla.
    La vie continua, plus
triste et monotone qu’avant. Un jour que tout lui semblait plus lourd que d’habitude,
Léa envoya un télégramme à Victoria Ocampo. Celle-ci répondit simplement :
« Venez. » Elle chargea une agence de voyages de Bordeaux de lui
trouver une place à bord d’un bateau en partance pour l’Argentine. Ce fut
difficile, les paquebots français étaient pleins ; restaient les lignes
étrangères. On lui trouva une place de première sur le Cabo de Buena
Esperanza partant de Gênes le 11 novembre. Juste le temps pour les
formalités nécessaires. Maintenant, il fallait annoncer à Charles et à
Françoise qu’elle partait.
    — Si tu trouves que c’est ce que tu as
de mieux à faire… dit simplement Françoise.
    Avec Charles, ce ne fut pas aussi facile. Le
petit garçon pleura, exprima avec ses pauvres mots son chagrin. La promesse d’un
costume de gaucho et d’un retour rapide calmèrent un peu sa peine.
    La veille de son départ pour Paris, elle
alla se recueillir sur la tombe de ses parents et de Laure puis sur celle d’Albertine.
Elle abandonnait là non seulement son enfance, mais sa jeunesse. À vingt-quatre
ans, elle se sentait vieille, pensait ne plus croire en rien. Accablée de
solitude, elle restait assise sur la pierre tombale, les mains abandonnées. Depuis
un moment, le père Henri l’observait.
    — J’étais venu vous dire adieu, votre
sœur m’a dit que vous étiez ici.
    — Merci, mon père. Je laisse là tout ce
que j’aime.
    — Non, ils sont en vous à jamais, comme
l’éternel Amour. « Là où vous allez, n’oubliez pas les choses simples, soyez
ouverte aux autres, laissez tout égoïsme, c’est en aimant que vous serez aimée.
N’ayez pas peur de vivre les yeux ouverts en ne vous cachant rien, ni les
horreurs du mal, ni les émerveillements du beau, n’ayez pas peur que vos pas et
vos jours n’aillent vers rien ni personne. L’absurde absolu pour un être humain,
c’est de se retrouver vivant sans raison de vivre… »
    — Sans raison de vivre ? C’est mon
cas.
    — Vous n’avez pas le droit de dire cela,
pensez à tous les malheureux. « Quand on a plus ou moins tout perdu (ou
bien tout donné), ou que l’on se trouve profondément handicapé, on n’a devant
soi que deux manières d’être : ou bien l’on devient replié sur soi, fermé
aux autres et à tout, et comme anéanti, vite aigri et désespéré, ou bien, à l’inverse,
se réalise à la dimension même du dépouillement où l’on se trouve, une
ouverture, et comme une perméabilité, une compréhension intuitive et passionnée
de toute désolation des autres. Cela, certes, ne va pas sans

Weitere Kostenlose Bücher