Noir Tango
Eva Perón, rutilante de bijoux, un adorable chapeau
perché sur un chignon compliqué, parlait d’un ton animé. Elle fit signe de la
main à Sarah.
— Chère madame Tavernier, que je suis
heureuse de vous voir. Bonjour, monsieur Tavernier, comment allez-vous ? dit-elle
en espagnol.
— Très bien, comme à chaque fois que je
vous vois, dit-il en s’inclinant et en baisant la main tendue.
Eva Perón eut un sourire satisfait au plat
compliment. Puis elle regarda Léa d’un air interrogateur, le regard froid.
— Qui est cette jeune fille ?
— Une amie qui arrive de France, mademoiselle
Léa Delmas…
Eva salua de la tête, Léa fit de même. Visiblement
le courant ne passait pas entre les deux jeunes femmes. Sarah vint à la
rescousse.
— Léa est une grande amie, que vous
impressionnez. De plus, elle ne parle pas votre langue.
Elle fit un geste qui signifiait que cela n’avait
pas d’importance et reprit sa conversation avec les jeunes hommes.
Sarah prit le bras de Léa et l’entraîna à
travers le salon, saluant, serrant des mains, riant, minaudant jusqu’à la
terrasse où se tenaient seulement trois ou quatre personnes.
Au loin, sur le Rio de la Plata, des navires
passaient.
— Tu es comme un poisson dans l’eau
parmi ces gens-là, tu connais beaucoup de monde, il y a longtemps que je ne t’ai
vue aussi gaie, aussi à l’aise.
— Je les hais. Je joue cette comédie
pour mieux pénétrer les milieux péronistes et découvrir ceux qui aident les nazis.
— Tu as déjà des indices ?
— Oui, le chef de la police, Juan
Filomeno Velazco est en relation avec certains d’entre eux.
— Tu en es sûre ?
— Aussi sûre que le docteur Rodriguez
Arasja qui se répand partout en accusations sur Velazco quant à ses relations
amicales avec des membres de réseaux nazis. Tu sais que Daniel et Amos en ont
identifié deux à bord du Cabo de Buena Esperanza ?
— Oui.
— Ils ont été reçus longuement à l’hôtel
de police avant de partir pour Cordoba. Ton ami hollandais est également parti
pour Cordoba. Il n’a pas cherché à te revoir ?
— Non, il m’a fait porter des fleurs
avec une carte disant : « A bientôt. » Tu as des renseignements
sur lui ?
— Toujours rien. Mais Daniel et Amos, qui
sont aussi à Cordoba, le surveillent…
— Mais ils vont se faire repérer, comme
moi, ils ne parlent pas un mot d’espagnol !
— Dans leur cas, c’est préférable. N’oublie
pas qu’ils se font passer pour Allemands et qu’ils sont censés ne parler que
cette langue.
— Mais comment se débrouillent-ils ?
— Tu sais, à Cordoba, c’est sans
problème. C’est presque ouvertement que les nazis sont installés là-bas. Sur
place nous avons des amis argentins qui les ont pris discrètement en charge. Pour
le moment, ils sont hébergés dans un hôtel appartenant à des Allemands, tenu
par des Allemands, du concierge à la femme de chambre en passant par les
garçons d’étage, avec un cuisinier allemand qui fait de la cuisine allemande, le
tout dans une ambiance tyrolienne.
— Le gouvernement argentin tolère cela ?
— La presse péroniste est progermanique.
N’oublie pas que l’Argentine n’est entrée en guerre contre l’Allemagne qu’un
mois avant la capitulation de celle-ci. Samuel et Uri sont à Buenos Aires. Grâce
à des communistes argentins, ils sont sur la piste d’un réseau qui organise des
évasions de nazis à partir de l’Espagne. Nous allons passer à l’action très
prochainement. Que comptes-tu faire en Argentine ? Je ne sais toujours pas
pourquoi tu es venue.
— Je ne le sais pas très bien… pour
venger Laure peut-être. As-tu retrouvé la trace de ces deux femmes ?
Le visage de Sarah se contracta.
— Pas encore, mais cela ne saurait
tarder.
Les boucles de ses courts cheveux noirs
auréolaient le visage légèrement maquillé de Sarah et la faisaient paraître
plus jeune. Elle était très élégante dans sa robe de soie rouge à pois blancs.
— Léa, quel plaisir de vous retrouver
ici !
Les deux amies se retournèrent.
— Rik ! je…
— Vous avez l’air d’être surprise. Vous
saviez bien que je vous avais promis de vous revoir. Présentez-moi à madame.
— Sarah, je te présente monsieur Rik
Vanderveen. Rik, je vous présente madame Mul… madame Tavernier.
Rik Vanderveen claqua les talons et s’inclina.
— Je suis ravi de vous connaître, madame,
des amis m’ont parlé de
Weitere Kostenlose Bücher