Noir Tango
vous.
— Ah oui ?… Comment ça ?
— Comme étant une amie de la belle
présidente.
— Les nouvelles vont vite en Argentine.
Vous vous plaisez dans ce pays ?
— Beaucoup. Les Argentins sont des gens
très hospitaliers. Et vous même, madame, vous plaisez-vous ici, loin de Paris ?
— On trouve à Buenos Aires tout ce qu’on
trouvait à Paris avant la guerre, c’est une ville très francophone, je ne suis
pas du tout dépaysée ici.
— Et vous, Léa, vous plaisez-vous au
pays du tango ?
— Beaucoup.
— Avez-vous revu cette jeune femme dont
vous fîtes connaissance sur le bateau ?
— Tenez… quand on parle du loup… Carmen !…
— Che, Léa !… Chérie que je
suis contente… Comment se fait-il que tu sois ici ?…
— Je suis venue avec des amis. Tu te
souviens de monsieur Vanderveen ?
— Comment oublierais-je notre
protecteur des rues de Rio ? Que c’est drôle que vous soyez là. Vous êtes
un ami du marié, peut-être ?
— Non, du général Velazco.
Léa et Sarah se lancèrent un bref coup d’œil
qui n’échappa pas à Carmen.
— Et vous, de qui êtes-vous l’amie ?
De la mariée ?
— Non, de la señora Perón.
— Je croyais que vous étiez brouillées ?
— Oh ! non, on ne se fâche pas
facilement avec moi. Léa, je fais demain une émission à Radio Belgrano, il y
aura le grand chanteur de tango Hugo del Carril. Je t’emmène, ce sera très
amusant… Oh, quel bel homme !
— C’est mon mari, fit Sarah.
— Oh pardon !
— Il n’y a pas de mal. Mon chéri, voici
une jeune fille qui te trouve très séduisant. Mademoiselle ?…
— Carmen Ortega, répondit-elle en
rougissant.
Léa s’écarta, le cœur serré. Que
faisait-elle ici, dans ce pays inconnu, avec ces étrangers ?… Elle
regardait l’homme qu’elle aimait, qu’elle était venue chercher jusque-là sans
vouloir se l’avouer en se donnant de fausses raisons, faire le joli cœur avec
cette petite actrice argentine sous le prétexte qu’elle le trouvait « bel
homme » !… et Sarah qui jouait les entremetteuses !… Et Rik
Vanderveen, pourquoi la regardait-il ainsi ?… Pourvu qu’il ne devine rien !…
Elle lui sourit, coquette.
— Comme vous sembliez loin, tout à l’heure.
On dirait que vous vous ennuyez ?
— Un peu. Si nous partions ?
— Ce serait incorrect vis-à-vis de vos
amis…
— Ça m’est égal, j’ai envie de m’en
aller. Vous venez ?
François, accaparé par Carmen Ortega, les
vit partir la rage au cœur. Ah, la garce ! elle le lui paierait.
À la table voisine
de celle occupée par Rik Vanderveen et Léa au restaurant « La Cabana »,
six hommes parlaient fort en allemand, très naturels, comme s’ils étaient dans
une brasserie de Munich. Mal à l’aise, Léa s’agitait sur sa chaise, touchant à
peine la somptueuse viande qui était dans son assiette.
— Vous n’aimez pas ? demanda
Vanderveen.
— Je n’ai pas très faim.
— L’endroit vous déplaît ?
— Pas du tout, c’est amusant mais nos
voisins sont très bruyants.
— Comprenez-vous ce qu’ils disent ?
— Pas du tout. Et vous ?
— Un peu, ce sont des Allemands. Il y
en a beaucoup ici. Vous n’avez pas remarqué ?
— Non, je n’ai pas fait attention. Vous
restez longtemps en Argentine ?
— Cela dépend de vous.
— Comment cela ?
— Il m’est très agréable de vous revoir
et j’aimerais que nous fassions plus ample connaissance.
Léa ne répondit pas.
— Vous ne dites rien ? Qu’en
pensez-vous ?
Que lui répondre ? Pourquoi avait-elle
accepté de dîner avec lui ? C’était idiot : tout ça pour rendre
François jaloux.
— Ce serait charmant, dit-elle d’un ton
désinvolte. Mais pas avant quelque temps, je suis très prise en ce moment.
— Je suis très patient, chère amie.
Il y avait comme une menace dans sa façon de
s’exprimer. Léa vit arriver la fin du repas avec soulagement. Il la raccompagna
jusqu’au « Plaza ». Dans le hall, Vanderveen la remercia pour l’excellente
soirée et ajouta :
— Je quitte Buenos Aires pour quelques
jours. Dès mon retour je vous ferai signe. À bientôt. Je vous souhaite une très
bonne nuit.
— Bonne nuit.
En lui donnant sa clef, le concierge lui
remit un message.
Dans l’ascenseur, Léa lut :
« Je passe te prendre demain pour
déjeuner. Je t’embrasse, Sarah. »
Assise dans un
confortable fauteuil du bar du « Plaza »,
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