Nostradamus
restez avec moi. Dix hommes autour du marché [19] .
Tous ces ordres furent exécutés avec
précision, même par les gentilshommes. Une douzaine d’archers
demeurèrent près de Roncherolles. Le grand-prévôt regarda par la
fenêtre : elle donnait sur un toit. À l’extrémité du toit, il
vit Beaurevers qui rampait. Il le désigna à Roland et lui
dit :
– Florise est à toi. Va la conquérir…
– Une bataille sur ces toits, soit !
dit Roland.
– Non pas ! Il s’agit de suivre
l’homme, de ne pas le perdre de vue, et, quand il se laissera
tomber sur le sol, de me prévenir d’un coup de sifflet. Voici mon
sifflet.
Le Royal rampait sur le toit. Il n’y avait au
bord ni chéneau ni gouttière. Une tuile qui saute, la main qui
hésite, ou le genou qui glisse, et c’était la chute dans le vide.
Il atteignit le bord et se cramponna là.
Penché au bord du toit, il vit au-dessous de
lui la crête d’un mur. Il la devina plutôt. Le moyen d’atteindre
cette crête de mur ? Il n’y en avait qu’un : se laisser
tomber. C’était la certitude de la chute, et la mort.
Beaurevers regarda vers la fenêtre qu’il
venait de quitter. Deux têtes à cette fenêtre : on l’attendait
là ; on guettait son retour. Pas moyen de rétrograder. Il
s’allongea au bord du précipice. Dans le même instant, il vit
quelqu’un qui franchissait la fenêtre. Il eut l’intuition qu’il
allait être poussé d’un coup de pied, balayé dans le vide… il se
laissa tomber ; non, il sauta.
Le moment d’après, il se vit sur la crête du
mur, allongé, les mains sanglantes. Il eut un soupir où il y avait
de la stupéfaction, de la joie, et de l’horreur – presque en même
temps, il entendit au-dessus de lui le bruit de quelque chose qui
roulait sur le toit, pêle-mêle avec des tuiles arrachées et un
corps tomba. Beaurevers fut à demi assommé par cette chose qui
s’abattit sur lui, puis la chose ou l’être rebondit dans le
vide.
Beaurevers se suspendit des deux mains et
s’abandonna… Sur le sol, il roula sur lui-même et alla, à quelques
pas, buter au pied d’un grand mur – le mur du Marché – où il
demeura sans mouvement. Des bruits de pas rapides, tout à coup, lui
rendirent l’énergie. On accourait. Beaurevers allait se
redresser…
– Le voici ! cria une voix. Je l’ai
touché au pied.
– Nous le tenons ! il ne bouge plus,
le misérable !
– Il a roulé du toit ! Il échappe à
la corde !
Il y eut dans l’obscurité des remous de gens,
puis tout cela s’éloigna, se dissipa comme un songe.
– C’est un songe, se dit Beaurevers. Ils
m’emportent ? Non, je suis là, toujours. Qui
emportent-ils ?
Brusquement, le souvenir lui revint de la
chose ou de l’être qui là-haut, sur le mur, l’avait à moitié
assommé… Il se mit à rire.
C’est vers la rue de la Juiverie que s’était
dirigée la bande triomphante : il se dirigea vers l’extrémité
opposée de la Cité, c’est-à-dire vers l’Île-aux-Juifs. Cependant,
là-bas, vers le centre de la Cité, il se faisait un grand
bruit ; des acclamations parvinrent au jeune homme.
– Nous le tenons ! Nous le
tenons !
Vers le Pont-au-Change, Beaurevers vit luire
des piques.
– Diable ! Les ponts sont
gardés !…
Il descendit sur la berge. Trois esquifs
étaient amarrés là. Il sauta dans l’un d’eux, après avoir détaché
la corde.
– Holà ! Halte ! Arrête,
arrête !…
Deux hommes, quatre, dix accouraient,
dégringolaient sur la berge. Beaurevers poussa sa barque. Au loin,
des clameurs de rage éclatèrent. Dix arquebuses tonnèrent…
IV – CHASSEURS AU REPOS
La bande qui avait ramassé l’homme tué par la
chute, s’était mise en route, avec des cris de triomphe. De toutes
parts, les postes qu’avait disposés Roncherolles arrivaient. La
besogne était finie. Dans la Cité, ce fut un beau vacarme. Au coin
des rues Calandre et de la Juiverie, un groupe, éclairé de
torches : l’état-major de l’expédition, Montgomery,
Saint-André, quelques gentilshommes, et le grand-prévôt.
– Le voilà ! Le voilà ! Nous le
tenons !…
Tous s’élancèrent. Les torches arrivèrent. On
découvrit le cadavre, sur lequel on avait jeté un manteau.
– Malédiction ! rugit
Roncherolles.
– Mon fils ! dit Saint-André sans
excessive émotion.
Roncherolles partit au pas de course,
entraînant tout le monde, et distribuant à chacun sa besogne
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