Nostradamus
rentrer.
– Dame Bertrande, une minute, soupire la
jeune fille.
– Déjà nous quitter ! murmure le
jeune homme. Marie, Marie adorée, il me faudra donc m’éloigner de
Paris pour toujours, peut-être, sans même savoir qui tu es ?
Tu m’as ordonné de respecter le mystère dont tu t’entoures, et je
t’ai obéi… Et pourtant, je dois rejoindre mon père… mon dieu sur la
terre. Tu le sais, mon père a dû se réfugier à Montpellier. Accusé
de sorcellerie, traqué par Croixmart…
– Croixmart ! balbutie la jeune
fille toute pâlie.
Le jeune homme a eu un geste violent… puis il
continue :
– Ma mère, me presse de partir et
s’étonne de mon hésitation. C’est qu’elle ignore que je t’ai
rencontrée !…
– Mon bien-aimé Renaud ! palpite
Marie. Demain, tu sauras tout ce que tu dois savoir de moi. Car
aujourd’hui, je consulterai une femme qui, sûrement, me guidera, me
consolera dans mes angoisses…
– Une femme ? songe Renaud. Sa mère,
sans doute.
– Allons, demoiselle, insiste la duègne,
il est temps…
Mais Marie lève ses grands yeux sur le jeune
homme :
– Mon Renaud, je t’aime pour ta
soumission. Tu as bien voulu que je reste pour toi l’inconnue. Mais
demain, ici, tu sauras pourquoi j’ai tremblé à te dire qui je suis.
Et d’ailleurs, mon nom est Marie, et tu m’aimes. Ton nom est
Renaud, et je t’adore. Que nous faut-il de plus ? Et quand je
songe à cette force irrésistible qui a mis en mon cœur cet amour,
il me semble qu’un vertige me saisit. Ce fut étrange. J’étais dans
la rue. J’ai senti tout à coup, un de ces frémissements que jamais
on n’oublie. Je me suis retournée. Et j’ai compris que tu exerçais
sur moi un pouvoir magique…
– Magique ? tressaille le jeune
homme.
– Alors tu m’as dit :
« Rassurez-vous. Je ne veux vous tenir que de votre volonté à
vous. Je m’interdis même de vous suivre. Dans un instant, je ne
saurai plus où vous êtes. Je ne sais pas qui vous êtes. Mais si
vous m’aimez, venez demain sous les peupliers de la Grève. »
Et tu es parti. Et quand je suis rentrée, je me suis jetée à genoux
pour prier. Mais alors j’ai compris que c’était à toi, inconnu de
moi une heure avant, que je parlais, croyant parler à Dieu.
– Chère adorée ! frissonne
Renaud.
– Et, le lendemain, je suis sortie pour
aller à la messe, résolue à t’oublier. Mais c’est vers la Seine que
je suis venue et je me suis retrouvée sous les peupliers, devant
toi. Et depuis, le matin, à l’heure de la messe, c’est ici mon
église.
Renaud, pensif, a baissé sa noble tête sur sa
large poitrine.
– Je ne veux te tenir
que de ta
volonté.
J’attendrai…
– Demain, tu sauras à qui tu dois
demander notre union !
Et un souffle de joie monte aux lèvres du
jeune homme. Ils se sont levés. Leurs mains s’enlacent. Leurs
bouches balbutient :
– Demain, oh ! que sera
demain !…
Sur la place de Grève, des malédictions… Au
milieu d’archers, passe un seigneur de formidable aspect.
– Place à monseigneur de Croixmart !
crie rudement le chevalier des archers.
Marie est devenue blanche comme les lys. Les
poings de Renaud sont crispés. Et déjà, s’efface la silhouette du
baron Gerfaut, seigneur de Croixmart, grand juge prévôtal.
II – LA DÉNONCIATION
Renaud s’éloigne. Marie traverse la place,
tourne le dos à son logis que lui désigne la duègne. Et elle
demande :
– Où demeure cette femme qui connaît
l’avenir et le passé ?
– Seigneur ! Voulez-vous donc entrer
chez une sorcière ?
– À qui me confier ? soupire Marie.
Je n’ai pas de mère. Et je ne sais si demain j’oserai dire à
Renaud… Ah ! ces cris de malédiction ! Et quel flamboyant
regard de haine il avait, lui ! Ne m’as-tu pas dit que cette
femme donne de précieux avis ?
– Ses conseils ont rendu service à mainte
bourgeoise, et elle est si charitable aux pauvres qu’on la surnomme
la bonne Providence.
– Comment dis-tu qu’elle s’appelle,
Bertrande ?
– On la connaît sous le nom de la
Dame,
et nul ne sait qui elle est. Quant à sa demeure,
c’est ici, juste face à l’hôtel de…
– Silence ! interrompit Marie avec
effroi. Attends-moi.
Déjà elle a heurté la porte qui s’ouvre.
La jeune fille est entrée. Elle pénètre dans
une salle ornée de beaux meubles sculptés. La maîtresse de cette
demeure s’avance. Elle peut avoir cinquante ans. Sous
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