Nostradamus
ta
consolation…
– Tu l’es. Jusqu’à cette minute, j’ai cru
que mon ambition égalait mon amour. Je me trompais. Je t’aime mieux
que cette puissance que lentement j’ai échafaudée ! J’y
renonce, la rage et le ravissement dans l’âme. Écoute. Ce mariage
avec Roland de Saint-André te fait horreur. Eh bien ! ce
mariage n’aura pas lieu. Pour cela, il y a un seul moyen :
nous quitterons la cour et, Paris. Je résilierai mes fonctions. Je
braverai la colère du roi. Je suis riche. Nous irons vivre ensemble
en quelque province, renonçant à tout. Dès demain, nous partirons,
nous fuirons…
– Nous fuirons ?… Pourquoi ?
Qu’avons-nous à craindre ?
Roncherolles essuya la sueur qui dégouttait de
son front. Jamais il n’avait éprouvé pareil déchirement.
– Il faut fuir, te dis-je ! Ne
comprends-tu pas qu’il faut qu’un effroyable danger te menace pour
que je me sois décidé d’abord à te perdre ! Pour que je me
décide maintenant à briser ma vie d’homme, à détruire mon rêve
d’ambition !
– Un danger ! palpita Florise. Quel
danger ? Je veux savoir !
– Tu le veux ! rugit Roncherolles,
les poings crispés. C’est toi qui veux savoir pourquoi il faut
fuir !…
– Oui, dit Florise. Il faut que je sache,
à moins que vous ne vouliez me faire concevoir d’étranges
soupçons.
– Eh bien ! sache-le donc, ce secret
qui me fait hurler de rage impuissante à la pensée que je ne puis
d’un mot, d’un geste, pulvériser un trône et foudroyer un
roi !…
– Le roi !… bégaya Florise. Vous
m’épouvantez !…
– Le roi, malheureuse ! Le
roi ! Eh bien, il t’aime !…
Florise, sans un cri, se redressa, la lèvre
frémissante.
– Il t’aime ! Il te veut ! Pour
t’avoir, il m’enverra à l’échafaud s’il est besoin, ou bien il me
donnera un trône ! Il te veut pour maîtresse ! Toi !
Toi ! Ma fille !… Tu serais le vil instrument des
plaisirs de cet homme ! Fuyons puisque tu ne veux pas de ce
mariage, qui te sauverait de l’infamie !…
Roncherolles pleurait, se tordait les
mains !…
– Tu sais tout, maintenant, reprit-il
d’une voix brisée. Ne parlons plus jamais de cela. Prépare-toi
pendant que je me prépare de mon côté. Demain, nous fuirons.
À ce moment, Florise recula, baissa la tête,
et murmura :
– Non, mon père.
Roncherolles frissonna. Il eut l’affreuse
intuition que ce qui venait de se dire n’était rien, que ce qui
allait se dire était tout. Il marcha à sa fille, lui saisit les
deux mains, et d’une voix blanche :
– Tu as dit non ?…
Éperdue, stupéfaite de sa propre audace, elle
balbutia :
– Je ne veux pas quitter Paris…
– Pourquoi ?
– Je ne sais.
Mot de lumineuse et pure vérité : elle ne
savait pas pourquoi elle ne voulait pas quitter Paris. Elle savait
seulement qu’elle mourrait si elle s’éloignait de Paris. Florise ne
voulait pas mourir ! Roncherolles grinça des dents.
– Tu ne sais pas ? dit Roncherolles
à voix très basse. Veux-tu que je te le dise, moi !
– Vous me faites mal, mon père…
Roncherolles n’entendit pas. Il la secoua.
– Je vais te le dire ! haleta-t-il
avec fureur.
– Dites, mon père !…
Et Roncherolles éclata, hurla :
– Tu ne veux pas quitter Paris, misérable
fille, parce que Paris est le domaine des truands.
– Père ! cria Florise devenue
blanche comme une morte.
– Parce que le truand dont tu portes
l’image au cœur habite Paris ! Parce que tu aimes,
maudite !… Oh ! c’est à devenir fou de honte ! Tu
aimes Le Royal de Beaurevers !…
Florise tomba sur ses genoux, une aveuglante
clarté inonda son cœur, et elle sourit tandis que Roncherolles
rugissait :
– Soit ! Je reste ! Je tiens
tête au roi ! Je tue le roi, s’il le faut ! Mais
l’infamie ne courbera pas mon front. Et quant au truand, dussé-je
te voir mourir de douleur et mourir moi-même du désespoir de
t’avoir tuée, je l’empoigne ! je suis sur sa trace ! je
le tiens ! Et aussitôt pris, à la Grève ! au gibet !
à la hart ! Regarde, Florise ! Voici ton amant qui se
balance au bout de la corde que ton père lui a mise au
cou !
Roncherolles s’enfuit, écumant, insensé ;
dans l’antichambre il jeta sa dague contre un mur pour ne pas
succomber à la tentation de rentrer et poignarder sa fille…
IV – LA VISION
Dans cette minute même, il y avait au pied de
l’hôtel, sous la fenêtre
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